« Il se croyait César, il n’est mort que Pompée… »

Félix Faure meurt dans le salon bleu du palais de l’Élysée le 16 février 1899 au soir. Il est âgé de 58 ans. La cause de son décès aurait été un abus immodéré des charmes d’une jeune femme mariée, Marguerite Steinheil, qui était l’une de ses maîtresses depuis un couple d’années.

C’était donc une soirée comme les autres qui s’annonçait pour le président Felix Faure. En ce jour, après l’habituel conseil des ministres, il recevait le prince de Monaco, dreyfusard notoire, et la discussion devint rapidement houleuse, car elle portait sur la révision du procès de l’officier français, qu’il refusait d’accorder.

Peu après cette entrevue, malgré qu’il se sentit fatigué par ses obligations, il décida de rejoindre sa maîtresse, Marguerite Steinheil, qu’il avait convoquée dans le célèbre salon bleu du palais de l’Élysée. Cette pièce était munie d’une porte dérobée qui permettait au président de recevoir des femmes en toute intimité et qui inversement permettait aussi à ses dames, généralement mariées, ou prostituées, de sortir en toute confidentialité du palais.

La soirée est à peine avancée quand Faure se destine enfin à ses préoccupations personnelles. À noter que le président n’est pas dans une grande forme et s’est plaint à plusieurs reprises dans la journée d’une certaine « mollesse » et d’une fatigue excessive. Mais, galanterie française oblige, il décide de se « requinquer », probablement avec une trop forte dose de cantharide officinale, un puissant aphrodisiaque, qui peut cependant générer des effets secondaires importants.

Félix tenait donc à sa réputation d’étalon, et d’ailleurs, d’un point de vue équestre, le président passait pour être un excellent cavalier qui montait tout les matins.

C’est donc avec une certaine euphorie, d’après les témoignages des personnels de l’Élysée recueillis à la suite du drame, que Faure pénètre dans l’intimité du salon bleu, tout autant que dans celle de la jeune marguerite, trop rapidement effeuillée pour le coup. Toujours selon les témoignages, peu de temps après que le couple se fut installé dans le salon bleu, le chef de cabinet Le Gall, alerté par des cris, se précipita et découvrit le président sans autre vêtement qu’un gilet de flanelle, râlant, allongé sur un divan et la main crispée dans la chevelure de sa maîtresse pendant qu’elle remettait ses vêtements!

Un huissier confira même qu’il «aura fallu couper des mèches de cheveux de la jeune femme, car le président, semi-inconscient, ne parvenait pas à desserrer la main».

 Après avoir agonisé trois heures, Félix Faure meurt vers 22 heures d’une « congestion cérébrale » pour la version officielle. On rapporta que l’abbé Herzog, curé de la Madeleine, qui fut demandé par son épouse Berthe Faure pour qu’il lui administrer les derniers sacrements, demanda à son arrivée :

  • « Le président a-t-il toujours sa connaissance ? »

On aurait répondu par cette fameuse réplique :

  • « Non, elle est sortie par l’escalier de service ! ».

 

Mme Faure habitant l’Élysée, la maîtresse dut probablement, en effet, pour éviter le scandale, s’éclipser par la « sortie de secours ».

Le fait que le président était mort dans les bras de sa jeune maîtresse se répandit rapidement dans le tout Paris. Si certains journaux affirmèrent, tel le Journal du Peuple du 18 février, qu’il était mort d’avoir «trop sacrifié à Vénus», d’autres, se demandèrent s’il « … n’avait pas été victime des dangers inhérents à sa haute fonction », et d’autres encore si le Président Félix Faure était bien mort de mort naturelle.» Les circonstances croustillantes du décès prirent rapidement le pas sur la possible circonstance d’une « mort subite ».

La rumeur populaire colporta vite que c’était une fellation pratiquée par sa maîtresse qui avait provoqué la mort accidentelle du président, ce qui valut à Marguerite Steinheil le doux surnom de « la pompe funèbre ». Les indiscrétions des huissiers et autres valets de l’Élysée n’aidèrent pas à soigner sa réputation. Georges Clemenceau eut ce mot, ce qui est autant une allusion au goût du président Faure pour le faste républicain qu’à la cause prétendue de sa mort :

« Il se croyait César, il n’est mort que Pompée… »

Mais, pour le malchanceux Félix Faure, du moins d’un certain point de vue, les mésaventures ne s’arrêtèrent pas là : lors de ses obsèques nationales, célébrées le 23 février 1899, la solennité et le recueillement de ses compatriotes, furent perturbés par une tentative de coup d’État de la Ligue des patriotes, fomenté par Paul Déroulède, qui essaiera en vain de faire prendre d’assaut le palais présidentiel par ses militants.

Pour Marguerite Steinheil, la mort de Félix provoquée par ses « talents », lui vaudra une « certaine réputation » dans le monde politique. Elle devint la maîtresse de diverses personnalités, dont celle du ministre Aristide Briand, du roi du Cambodge et de l’industriel Maurice Borderel. Si elle disparaît entre 1900 et 1908 des yeux du grand public, la demi-mondaine, comme on disait alors, refait brusquement surface dans la presse à l’occasion d’une triste et scabreuse affaire de mœurs.

Voici le récit :

«Le 30 mai 1908, madame Émilie Japy, mère de Marguerite, passe quelques jours chez sa fille, à Paris. Initialement prévu le soir même, son départ est en dernière minute reporté au lendemain matin. Le lendemain, le 31 mai, à 6 heures du matin, le domestique constate que toutes les portes du premier étage sont ouvertes, ce qui était inhabituel. Croyant à un cambriolage, il visite les chambres et c’est là qu’il découvre les corps de Madame Japy et d’Adolphe Steinheil, le mari «officiel» de Marguerite.

Madame Japy est décédée d’une crise cardiaque. Le peintre Adolphe Steinheil est retrouvé dans son cabinet de toilette, vêtu de sa chemise de nuit et étranglé par une cordelette encore nouée autour du cou. Quant à Marguerite, elle est bâillonnée et ligotée sur un lit.

Elle expliquera aux policiers avoir été saucissonnée dans son sommeil par trois individus vêtus de noirs, deux hommes et une femme rousse.»

Dans les premiers temps, la police soupçonne Marguerite d’avoir organisé l’assassinat de son mari en le maquillant en crime crapuleux. Mais faute de preuves, ils abandonnent l’accusation. Ensuite, les enquêteurs supposent que le mobile du crime était de retrouver des documents secrets ayant appartenu au président Faure, en rapport avec l’affaire Dreyfus, qui auraient pu être confiés à Marguerite par ce dernier. Impasse là aussi.

Mais, Marguerite Steinheil s’impatiente face à l’inertie de la police : elle relance l’enquête en accusant ses domestiques. Sans succès. Puis, durant l’instruction, elle change ses versions des faits, accusant untel puis tel autre, allant jusqu’à s’accuser elle-même avant de se rétracter. Le 4 novembre 1908, le juge d’instruction la fait arrêter et incarcérer à la prison Saint-Lazare. Elle y passera plus de 300 jours. Le 3 novembre 1909, le procès s’ouvre à Cour d’assises de Paris. Le procès est très médiatisé. L’opposition antidreyfusarde cherchait à transformer ce fait divers en procès politique, accusant Marguerite d’avoir empoisonné Félix Faure pour le compte du « syndicat juif », parce que le président s’était déclaré hostile à la révision du procès Dreyfus. Le 14 novembre, elle est acquittée par les jurés.

Après le procès, elle part vivre à Londres sous le nom de Mme de Serignac. En 1917, elle épouse Lord Robert Brooke Campbell et devient Lady. Marguerite Steinheil meurt en 1954 dans une maison de repos dans le comté du Sussex.

YLR, extrait du dossier documentaire sur le « J’accuse » de Zola