La pire Saint-Valentin.

La pire Saint-Valentin

Je n’ai pas eu besoin de faire la queue dans le froid  pour laver la voiture, briquer l’intérieur et passer l’aspirateur. D’ailleurs, je n’ai pas eu besoin non plus de m’arrêter au PMU du coin, de boire un café en écoutant les anciens donner des brèves du village  pour faire de la monnaie pour les affreux mange-fric automatiques de la station de lavage.

Les cafés, c’était avant.

Je n’ai pas eu besoin de faire jouer mes relations pour être certain d’avoir une bonne table, à 20 heures, dans un restaurant à la mode. Ni de promettre de renvoyer l’ascenseur. Ni de consulter les menus.

Les restaurants c’était avant.

Je n’ai pas eu besoin de récupérer en catastrophe mon costume au pressing. Ni de prendre un ticket de parking à deux kilomètres d’où je me suis garé. Ni de m’énerver parce que je n’ai plus une chemise blanche de propre. C’est pourtant moi qui me tape la corvée du linge à la maison.

Mais ce soir, pas besoin de costume et le pressing a fait faillite de toute façon.

Je n’ai pas eu besoin de trouver une baby-sitter en urgence. Et puis reste-t-il des étudiantes? Les facultés existent-elles encore?

Je n’ai pas eu besoin de me demander si son cadeau va tenir dans ma poche. Vu que sans costumes: pas de poches. Il passera  sans problème sous la serviette de la table que je vais dresser. A la maison.

Je n’ai pas eu besoin de faire tout ceci, comme mon amoureuse n’a pas eu besoin d’aller chez le coiffeur, d’acheter le petit accessoire de ville manquant à sa panoplie de femme fatale, de se poser des questions sur la météo et sur le choix de son manteau et de caster la baby-sitter.

Je n’ai pas pu admirer ses longues jambes gainées de nylon, s’extraire du siège bas de la berline en lui tenant la portière. Je n’ai pas pu regarder ces mêmes jambes croisées sur l’assise d’un tabouret de bar et plus grave que tout, je n’ai pas vu ses yeux pétiller. Ni le champagne lui mettre du rose aux joues. Ni sa bouche gourmande dévorer les plats. Comme je ne l’ai pas espérée pendant 15 minutes les coudes sur la table, entre le fromage et le dessert, en attendant qu’elle revienne des toilettes en slalomant entre les tables comme une panthère.

Parce que s’il n’y a plus de restaurants, il n’y a plus de sorties non plus.

Parce qu’on nous vole notre vie par petits bouts.

Parce que ce gouvernement liberticide est au pouvoir.

Parce qu’aujourd’hui, les Gaulois réfractaires n’ont plus rien d’irréductible.

J’éprouve de la haine pour ces gens absurdes qui n’ont de leurs fonctions que le titre.

Je suis en colère, car mes douze ans d’amour sont contrariés par ces grotesques fonctionnaires.

Cette soirée était celle de ma belle.

Et ils lui ont volé.

Triste époque, morne plaine et plaisirs enfouis.

 

YLR