Maurras et le mot « race »… 2/2

 

Charles Maurras ou le « tout et son contraire ». Patriote, mais proche collaborateur de Pétain. Nationaliste et monarchiste, mais défenseur de la république à ses heures. Journaliste sans foi ni loi, mais respectant pourtant l’union sacrée de la Grande Guerre. Agnostique, mais qui récitera le « confiteor » à sa mort. Sa vie durant, il sera à la fois défenseur des valeurs de l’église catholique et ennemie de la papauté. Anticolonialiste, mais il soutiendra l’expansion fasciste italienne en Éthiopie. Anti-germaniste, mais anti-résistant… et cette triste liste, pourrait se prolonger sur des dizaines de lignes tant les contradictions sont foules…

Je n’ai jamais compris et je crois que je dois l’avouer, je ne comprendrai jamais, les raisons de l’écoute dont il a bénéficié et l’influence intellectuelle et journalistique qu’il a pu avoir sur son époque. Et pour être franc, lire une ligne de « Maurras » me coûte. Me heurte. Me lasse. Son style ampoulé de latiniste distingué empreint de scientisme, son vocabulaire populiste entrecoupé de grands mots et de formules savantes m’écorche l’esprit.

Pourtant, force est de reconnaître qu’il « compte » dans la littérature de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle. Souvent décrit comme un des théologiens phares de l’extrême droite française, le personnage me paraît beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Il est des cas où le secret médical devait être levé pour pouvoir procéder à une juste analyse.

Maurras sera pourtant capable d’influencer des grands noms des arts et lettres, comme de la politique, et il récoltera les lauriers de la gloire en devenant un des « immortel » de l’Académie française. Et, bien que reconnu coupable de haute trahison, son siège d’académicien restera « vacant », jusqu’à sa mort. L’académie ne le réattribuera pas. Fait rare. Violent, capable de duels, poète à ses heures, passionné des femmes, sourd et pourtant à l’écoute de l’opportunisme de son temps, Maurras me reste une énigme.

Comment cet homme a-t-il pu obtenir tout ce crédit ?

Songez que l’influence de Charles Maurras touchera, et pour n’en citer que quelques-uns, Rodin, Montherlant Apollinaire, Proust, Lacan, Anna de Noailles, Fernand Léger, Marguerite Yourcenar, André Gide, Gabriel Marcel, Colette, Paul Valéry, Malraux, Pierre Messmer, Edgar Faure, Edmond Michelet, François Périer, Pierre Fresnay, Elvire Popesco, Roland Laudenbach, Philippe Ariès, Georges Dumézil et même un certain Charles de Gaulle avant 1940…

Politiques, artistes, acteurs, auteurs, journalistes de son temps sont touchés par Maurras, par le chantre de « l’action française ». Même si la plupart, surtout après 1945, ne s’en réclameront pas. Beaucoup seront donc influencés par cet homme qui crachera à longueur de vie sur la république, les régimes parlementaires et la démocratie… par cet homme antisémite à l’extrême, abusif et intellectuellement corrompu. Par cet homme qui sous vichy soutiendra l’instauration d’une législation antisémite et la création de la milice. Il poursuivra la publication de L’Action française sous l’occupation allemande et il y réclamera l’exécution de résistants. Il dénoncera des juifs aux nazis. Arrêté à la Libération, il sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale. Il sera gracié pour raisons de santé en mars 1952.

Maurras est né le 20 avril 1868 à Martigues. Antidreyfusard dès la première heure, avec la complicité de Léon Daudet, de Jacques Bainville et de Maurice Pujo, il dirigera le journal L’Action française, support de papier du mouvement homonyme. Ce journal d’inspiration royaliste, nationaliste et évidemment contre-révolutionnaire devient le principal mouvement intellectuel et politique d’extrême droite sous la IIIe République. Il prêche pour le retour en France d’une monarchie de type « héréditaire », antisémite, anti-protestante, antimaçonnique et forcément, est-il utile de l’écrire, ultranationaliste. Une France seule gouvernée par un homme seul, une France antidémocratique et servie par les privilèges. Avec Maurras, c’est le grand retour en arrière qui est demandé. Versailles sera toujours Versailles et Versailles est maurrassienne… La révolution de 1789, et les suivantes, tout doit être balayé, effacé et certainement même, nié. Le négationnisme faisant partie de la panoplie du fasciste de base. Car Maurras est-il autre chose, au final ?

Antidreyfusisme en deux citations

1898 : « Le parti de Dreyfus mériterait qu’on le fusillât tout entier comme insurgé ».

1930 : «Je ne veux pas rentrer dans le vieux débat, innocent ou coupable. Mon premier avis là-dessus avait été que, si Dreyfus était innocent, il fallait le nommer maréchal de France, mais fusiller une douzaine de ses principaux défenseurs pour le triple tort qu’ils faisaient à la France, à la paix et à la raison.»

En septembre 1898, Maurras s’oppose publiquement à la demande de révision du procès du capitaine Alfred Dreyfus. Révision attendue puisque le commandant Henry est mort de ses aveux, « suicidé » dans sa cellule. Maurras d’ailleurs, lui rédigera un éloge pompeux dans La Gazette de France.

Le journal de Maurras, l’Action française, se réclame de défendre l’armée comme première condition de vie du pays et des hommes qui la composent contre une justice qui lui porterait tort.

Comprendra qui voudra…

Maurras prétend ainsi défendre la raison d’État en soutenant l’armée coûte que coûte pour éviter le désastre d’une nouvelle guerre perdue contre l’Allemagne. Et les dreyfusards, selon lui, dissipent la ligne politique gouvernementale, mettent en avant le socialisme, et donc le communisme, mêlent au débat les « sans grades », et par toutes ces actions répréhensibles, empêchent la France d’agir politiquement dans un contexte international menaçant. L’affaire Dreyfus nuit.

C’est là la justification principale de Maurras.

La bêtise, l’opportunisme, le sens de la justice, le conservatisme et la liaison dangereuse entre l’état et l’église qui s’enrhume au vent libertaire républicain n’entrent pas en compte dans son analyse.

Une analyse primaire, pour le moins.  

L’Action française persistera à publier des réquisitoires contre Dreyfus plusieurs années après la fin de l’affaire : de 1908 à 1914, des articles menacent concrètement Dreyfus, et ses déplacements personnels sont notés et donc divulgués. Maurras comptant certainement sur un « exalté » pour en finir avec l’officier juif…

Le capitaine Dreyfus intentera plusieurs procès au journal. Il y fera même valoir son droit de réponse, sur décision de justice, ce qui amènera Maurras à écrire : «Le traître juif entrevoit en frissonnant, les douze balles qui lui apprendront enfin l’art de ne plus trahir et de ne plus troubler l’ordre de ce pays qui l’hospitalise».

Obsédé par l’Allemagne, son autre ennemi personnel, Maurras écrit en 1913 : «La République nous a mis en retard sur l’Europe entière : nous en sommes à percevoir l’utilité d’une armée forte et d’une marine puissante à l’heure où les organisations ennemies sont prêtes ». Mais contre toute attente, il respectera et même encouragera l’union nationale et renoncera à sa lutte systématique contre le régime républicain. Le temps d’une guerre.

Condamnations

Inculpé de provocation au meurtre, Maurras est interrogé le 15 février 1936 par un juge d’instruction à la suite de l’agression commise contre Léon Blum par des camelots du roi et ligueurs de l’Action française. Revenons brièvement sur les faits : le 13 février 1936, Léon Blum, accompagné de Georges Monnet et de son épouse, croise en voiture le cortège des funérailles de l’historien Jacques Bainville, boulevard Saint-Germain, à Paris. Reconnu par des individus du cortège, le dirigeant de la SFIO est immédiatement attaqué : il sera descendu de force de la voiture et roué de coups. L’enquête montrera que « la plupart des agresseurs portaient des brassards et insignes d’Action française», et le chapeau de Léon Blum sera retrouvé dans les locaux du mouvement royaliste. L’Action française ne revendiquera pas ce coup d’éclat. Mais n’oubliera pas de se moquer de l’événement et arguera que Blum est le seul responsable de ce qui lui est arrivé ; selon Maurras il aurait provoqué les militants. Mais, aux yeux de l’opinion publique, l’agression commise contre Léon Blum est la conclusion logique des campagnes violentes menées par le journal L’Action française contre le député socialiste. Le 9 avril 1935, Maurras avait écrit à son propos : « C’est un monstre de la République démocratique. C’est un hircocerf de la dialectique heimatlos. Détritus humain à traiter comme tel… L’heure est assez tragique pour comporter la réunion d’une cour martiale qui ne pourrait fléchir. M. Reibel demande la peine de mort contre les espions. Est-elle imméritée pour les traîtres? Vous me direz qu’un traître doit être de notre pays : M. Blum en est-il? Il suffit qu’il ait usurpé notre nationalité pour la décomposer et la démembrer. Cet acte de volonté, pire qu’un acte de naissance aggrave son cas. C’est un homme à fusiller, mais dans le dos».

L’agression de février 1936 contre le député Léon Blum, pousse le gouvernement dirigé par le radical Albert Sarraut, à dissoudre la Ligue d’Action française, les camelots du roi et la Fédération nationale des étudiants d’Action française.

Le 18 février 1936, une instruction judiciaire est ouverte contre Maurras pour complicité de provocation au meurtre. Il est condamné le 21 mars 1936 à 4 mois de prison ferme, la peine sera d’ailleurs aggravée, car il répétera ses menaces de mort contre Léon Blum : « C’est en tant que Juif qu’il faut voir, concevoir, entendre, combattre et abattre le Blum. Ce dernier verbe paraîtra un peu fort de café : je me hâte d’ajouter qu’il ne faudra abattre physiquement Blum que le jour où sa politique nous aura amené la guerre impie qu’il rêve contre nos compagnons d’armes italiens. Ce jour-là, il est vrai, il ne faudra pas le manquer. Si, par chance, un État régulier a pu être substitué au démocratique couteau de cuisine, il conviendra que M. Blum soit guillotiné dans le rite des parricides : un voile noir tendu sur ses traits de chameau.»

De la haine gratuite, puissamment évocatrice de la personnalité de Maurras et de ses probables névroses psychologiques.

« La paix! La paix! Les Français ne veulent se battre, ni pour les Juifs, ni pour les Russes, ni pour les francs-maçons de Prague.» 28 septembre 1938. Action française.

Pourtant, Maurras titrera un peu plus tard : « La mort d’un peuple », pour dénoncer l’invasion allemande dans les Sudètes. Maurras salue aussi la victoire militaire du dictateur Franco, « gage de sécurité contre le communisme et les persécutions contre les catholiques». Il soutient le gouvernement républicain d’Édouard Daladier dans sa volonté d’interdire le Parti communiste en France. En 1940, on peut lire dans L’action française : « Le chien enragé de l’Europe, les hordes allemandes envahissent la Hollande, la Belgique, le Luxembourg. » Maurras écrit : « Nous avons devant nous une horde bestiale et menant cette horde, l’individu qui en est la plus complète expression. Nous avons affaire à ce que l’Allemagne a de plus sauvagement barbare, c’est-à-dire une cupidité sans mesure et des ambitions que rien ne peut modérer. Nul avenir ne nous est permis que dans le bonheur des armes.» La France n’avait pas encore perdu la guerre.

Quelques semaines plus tard, la victoire allemande sur la France désespère Maurras. Il affirme que son soutien au gouvernement Pétain est de même nature que celui apporté aux gouvernements républicains lors de la Première Guerre mondiale. Il dira : « Je soutiens Pétain comme j’ai soutenu tous les gouvernements pendant la guerre de 1914-1918 ». Présenté ainsi, pour et par sa défense, le soutien de Maurras et de « L’action française » à Vichy ne serait donc pas un choix idéologique, mais un élément de réponse au problème français de l’occupation allemande et donc à la défaite. Bref, il avait la légalité dans le sang, le brave homme…

Ce qui n’est pas sans me renvoyer à une réplique écrite par Michel Audiard pour le film de Denys de la Patellière, « Un taxi pour Tobrouk » et dite par l’excellent Maurice Biraud : « C’est mon papa, moi, que je vais retrouver. Actuellement, il est à Vichy mon cher père. Ah! c’est un homme qui a la légalité dans le sang. Si les Chinois débarquaient, il se ferait mandarin. Si les nègres prenaient le pouvoir, il se mettrait un os dans le nez. Si les Grecs… oui enfin, passons! »

Maurras est hostile aux alliés, à la résistance en général, aux communistes en particulier et profite avec plaisir de la batterie de lois anti-juives qu’entérinent Pétain et sa bande de truands. De Londres, où il écrit dans La France libre, Raymond Aron porte, quelques mois après la mise en place du régime bananier de Pétain, le 15 décembre 1940, cette appréciation sur le chef de l’Action française : «M. Maurras, promu doctrinaire officiel du nouveau régime, n’en écrit pas plus aujourd’hui sur la IIIe République qu’il n’en écrivait depuis trente ans. La seule différence est qu’il est désormais gouvernemental et conformiste, qu’il trouve une sorte de jouissance morose dans les malheurs qui accablent notre patrie, parce qu’ils ont liquidé le régime détesté et permis cette «merveille d’État national» que le maréchal Pétain est en train de construire».

Pour Maurras, sa conception de la Révolution nationale portée par le sénile et nihiliste maréchal, se compose d’un bon corps d’officiers et un bon clergé. Pour Maurras, on peut tout à fait soutenir Vichy et non la politique de collaboration.

Ici, il fait la démonstration de l’absurdité de la pensée antisémite dans toute sa splendeur.

Maurras se proclame « antigaulliste » et qualifie les résistants de « terroristes », il appelle à la répression la plus violente contre eux. Le sinistre dramaturge exige « des otages et des exécutions », il recommande « la mise à mort des gaullistes faits prisonniers, sans autre forme de procès», et il ajoute que si « la peine de mort n’était pas suffisante pour mettre un terme aux activités des gaullistes, il fallait se saisir des membres de leur famille comme otages et exécuter ceux-ci». Maurras écrit en 1944 que « si les Anglo-Américains devaient gagner, cela signifierait le retour des francs-maçons, des Juifs et de tout le personnel politique éliminé en 1940», et «que soutenir les alliés serait prendre parti du mauvais côté ». Il écrit également que la France libre de De Gaulle est sous la botte de Moscou. Et je pourrais énumérer sur plusieurs pages la liste des absurdités et des trahisons maurrassienne. Passons…

Après la Seconde Guerre mondiale, comme beaucoup de ses gens, Charles Maurras retourne sa veste aux poches trouées et à la francisque accrochée, et nie avoir exercé une influence sur Philippe Pétain. Il plaidera en parlant de Pétain : «Sa doctrine est sa doctrine. Elle reste républicaine. La mienne est restée royaliste. Elles ont des contacts parce qu’elles tendent à réformer les mêmes situations vicieuses et à remédier aux mêmes faiblesses de l’État».  Lors de son procès qui aura lieu en janvier 1945, les charges sont (entre autres) les suivantes : dénonciation (Roger Worms et sa famille), propagandisme et intelligence avec l’ennemi. Le 27 janvier 1945, la cour de justice de Lyon déclare Charles Maurras coupable de haute trahison et d’intelligence avec l’ennemi et le condamne à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale. Maurras commenta sa condamnation par : « C’est la revanche de Dreyfus! »

Le 10 août 1951, Charles Maurras est transféré à l’hôtel-Dieu de Troyes. Le 21 mars 1952, bénéficiant d’une grâce médicale accordée par le président de la République Vincent Auriol, Charles Maurras est transféré à la clinique Saint-Grégoire de Saint-Symphorien-lès-Tours. Il meurt le 16 novembre 1952.

Antisémitisme

Charles Maurras forge sa doctrine antisémite en s’inspirant notamment des écrits de René de La Tour du Pin, l’un des chefs de la droite catholique de l’époque. Dans son « programme social » de 1889, ce dernier souhaite « dénationaliser » les juifs français, et précise en 1898, durant l’affaire Dreyfus : « les juifs seraient mis sur le même pied que les indigènes de nos colonies ». Si les juifs étaient sous ce statut alors inférieurs à celui d’un simple citoyen français (donc blanc), ils seraient ainsi sous la protection des autorités. Maurras va prôner pour les Juifs le vote d’un statut les excluant de la fonction publique et par là rejoindre son « mentor » dans son délire. Entre 1904 et 1906, Maurras identifie les « quatre États confédérés », soi-disant constitutifs de « l’anti-France ». Il cible ainsi les juifs, la franc-maçonnerie et les protestants, conformément à la théorie du complot judéo maçonnique et y ajoute les « métèques ». Le terme « métèque » désignait à l’époque classique, une catégorie particulière d’étrangers qui, moyennant un certain nombre d’obligations, obtenaient en échange le droit de résider sur le territoire de la cité et de s’y livrer à leurs activités professionnelles. Maurras accuse ces quatre « États confédérés » de défendre leur intérêt et non celui de la nation, tout en soumettant l’État à leur influence : « Contre l’hérédité de sang juif, il faut l’hérédité de naissance française, et ramassée, concentrée, signifiée dans une race, la plus vieille, la plus glorieuse et la plus active possible. Décentralisée contre le métèque, antiparlementaire contre le maçon, traditionnelle contre les influences protestantes, héréditaire enfin contre la race juive, la monarchie se définit, on le voit bien, par les besoins du pays. Nous nous sommes formés en carré parce qu’on attaquait la patrie de quatre côtés».

Lors de la création de la Ligue d’Action française en 1905, « la lutte antijuive »  est le cœur du combat et le slogan fédérateur. Chaque adhérent de l’Action française doit prêter ce serment : « Seule, la monarchie assure le salut public et, répondant de l’ordre, prévient les maux publics que l’antisémitisme et le nationalisme dénoncent. »

La tendance actuelle, puisque nous voyons renaître, très malheureusement, la pensée maurassienne, puisque nous voyons quelques quarterons d’intellectuels en faire la promotion aujourd’hui, est de « minimiser » l’antisémitisme de Maurras.

Bien.

De mettre sa haine du juif au niveau de celle du protestant.

Bien.

Sa haine de la république et du socialisme au niveau de celle « du juif ».

Bien.

Mais, ce n’est pas la réalité, lisez donc et instruisez-vous sur les propos de Maurras le maudit, lisez donc les mots de sa haine antisémite et comparez là au reste de ses publications. Maurras, comme tant d’autres antisémites notoires, est obsédé par « le juif ». Et c’est son fonds de commerce. Aurait-on autant parlé de lui en son époque, et en parlerait-on encore autant aujourd’hui, si cette haine n’avait pas été aussi forte ?

« Tout paraît impossible, ou affreusement difficile, sans cette providence de l’antisémitisme. Par elle tout s’arrange, s’aplanit et se simplifie. »

Cette dernière citation de Maurras résume bien l’idée avancée plus haut, non ?

«Antisémitisme d’État» & «Antisémitisme de peau».

Maurras et les membres de l’Action française adhèrent pleinement à une conception naturaliste de la judéité. Ils soutiennent que l’hérédité raciale rend le Juif inassimilable à la société. Cette déclaration de Maurras faite au début de l’occupation en témoigne : « J’ai vu ce que devient un milieu juif, d’abord patriote et même nationaliste, quand la passion de ses intérêts proprement juifs y jaillit tout à coup : alors, à coup presque sûr, tout change, tout se transforme, et les habitudes de cœur et d’esprit acquises en une ou deux générations se trouvent bousculées par le réveil des facteurs naturels beaucoup plus profonds, ceux qui viennent de l’être juif»

Maurras ajoute : « Le Juif d’Algérie, le Juif d’Alsace, le Juif de Roumanie sont des microbes sociaux. Le Juif de France est microbe d’État : ce n’est pas le crasseux individu à houppelande prêtant à la petite semaine, portant ses exactions sur les pauvres gens du village; le Juif d’ici opère en grand et en secret». Dans la thématique maurassienne, nous trouvons dans l’inventaire : « le danger juif allemand » en 1916. En 1919, le « bolchevisme juif ». La « théorie du complot juif » en 1921. Dans son quotidien L’Action française, Maurras publie ainsi une lettre ouverte à Abraham Schrameck, ministre de l’Intérieur, en 1925 : « De vous, rien n’est connu. Mais vous êtes le Juif. Vous êtes l’étranger. Vous êtes le produit du régime et de ses mystères. Vous venez des bas-fonds de la police, des loges et, votre nom semble l’indiquer, des ghettos rhénans. Vous nous apparaissez comme directeur des services pénitentiaires vers 1908 ou 1909. Là, vous faites martyriser Maxime Real del Sarte et ses compagnons coupables d’avoir milité pour la fête de Jeanne d’Arc. Vos premiers actes connus établissent votre fidélité à la consigne ethnique donnée par votre congénère Alfred Dreyfus le jour de sa dégradation : ma race se vengera sur la vôtre. Votre race, une race juive dégénérée, car il y a des Juifs bien nés qui en éprouvent de la honte, la race des Trotsky et des Krassine, des Kurt Eisner et des Bela Kuhn, vous a chargé maintenant d’organiser la révolution dans notre patrie. C’est sans haine comme sans crainte que je donnerai l’ordre de verser votre sang de chien s’il vous arrive d’abuser de la force publique pour ouvrir les écluses de sang français sous les balles et les poignards de vos chers bandits de Moscou.»

En 1938, Maurras écrit : «Le Juif veut votre peau. Vous ne la lui donnerez pas! Mais nous l’engageons à prendre garde à la sienne, s’il lui arrive de nous faire accéder au massacre universel». Maurras est donc un grand intellectuel… la preuve en est faite. D’une érudition transcendante… Ce n’est ni un opportuniste de la pire espèce ni un petit homme porté par la haine ! Comme l’ensemble de son œuvre est dédiée au bien de la nation française et de l’humanité en générale. Si bien qu’en 2018, à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de Charles Maurras, Olivier Dard rédige une notice de 3 pages pour le livre des commémorations nationales de 2018. L’intention de Dard fait du bruit : de nombreuses associations antiracistes protestent. La ministre de la Culture se voit contrainte de retirer la référence à l’écrivain dans le livre. Les 3 pages de Dard sont intégralement supprimées et les ouvrages déjà imprimés sont envoyés au pilon. Mais certains pensent, comme le « président » Macron, qu’il ne fallait « pas occulter la figure de Maurras » du livre. Le 7 mars 2018. Le 21 mars 2018, dix membres sur douze du Haut comité des commémorations nationales démissionnent en adressant une lettre ouverte à la ministre de la Culture. Voici cette lettre :

« Madame la ministre,

La décision que vous avez prise de retirer le nom de Charles Maurras de la longue liste de faits mémorables, établie par notre haut comité au titre de l’année 2018 — après l’avoir d’abord ratifiée par une préface élogieuse — et d’interrompre la diffusion du Livre des commémorations nationales nous rend impossible, à notre plus vif regret, de continuer de siéger dans cette instance.

Vos prédécesseurs et vous-même nous avaient demandé de consacrer à cette mission, bénévolement, du temps et de l’énergie, ce à quoi nous avions consenti volontiers, compte tenu de l’intérêt intellectuel, pédagogique et civique de cette entreprise.

 Jusqu’en 2011 le champ confié à ce haut comité concernait les «Célébrations nationales». Le terme pouvait laisser place à des incertitudes sur les frontières de celles-ci. Plusieurs d’entre nous, membres, à l’époque, de cette institution, avaient donc proposé que l’on substituât à ce terme celui de «Commémorations». À l’occasion de controverses sur le cas de Céline, Frédéric Mitterrand, votre prédécesseur, en décida ainsi. Ce changement affiché, explicite, marquait en soi, aux yeux de tous les observateurs de bonne foi, le parti qui était pris par les pouvoirs publics. Il s’agissait d’associer, dans les propositions qui leur seraient faites, d’une part, l’hommage à des personnages et des événements qui justifiaient une fierté collective et, d’autre part, le rappel d’épisodes ou d’acteurs ayant compté dans notre histoire tout en pouvant susciter rétrospectivement réserves, douleur ou indignation au regard des valeurs de la démocratie républicaine. Toute une sensibilité contemporaine ne nous encourage-t-elle pas à considérer avec lucidité les «pages noires de notre histoire»? Pour reprendre l’ensemble des commémorations qui vous étaient proposées, le destin de notre pays associe le souvenir d’un Simon de Montfort à celui d’un René Cassin. Au sein de cette liste, établie à l’unanimité, la présence de Charles Maurras allait de soi, cette personnalité, ennemie de la République, ayant joué dans l’histoire de notre pays un rôle intellectuel et politique considérable, bien au-delà de sa famille de pensée. Ce point de vue, cohérent et mesuré, semble n’avoir pas été compris par une partie de l’opinion publique. La polémique qui s’en est suivie et la réaction qu’elle a entraînée de votre part nous portent à croire qu’à l’avenir de tels incidents risquent de se reproduire. Vous comprendrez que, dans ces conditions, nous ne puissions continuer à siéger avec, en permanence, la menace soit de la censure soit de l’autocensure.

 Nous vous présentons donc, madame la ministre, et non sans tristesse, notre démission du haut comité des commémorations nationales. »

« Le maréchal Pétain a été aussi, pendant la Première Guerre mondiale, un grand soldat.»  Déclarera Emmanuel Macron le mercredi 7 novembre 2018, lors des commémorations du centenaire du 11 Novembre. Le président de la République a jugé « légitime » qu’un hommage soit rendu « aux maréchaux qui ont conduit l’armée à la victoire », dont Philippe Pétain faisait partie.

Mais est-ce bien là la véritable raison ?

Devant la politique de ce gouvernement, je suis en droit de me poser la question, autant que les membres de cette commission historique citée plus haut ont le droit de démissionner.

Je suis contre la censure, mais le contexte actuel est-il favorable pour ressortit Maurras de sa boite ?

N’oublions pas que Pétain fut frappé d’indignité nationale. Macron remettrait donc en cause cette sentence ? Comme Mitterrand l’a fait ? Mitterrand qui fut ministre de Pétain. Ou alors, peut-être que la « réconciliation Gaulliste » serait encore d’actualité de nos jours ? Et inquiéterait le Président Macron ? Ou l’ambiguïté de l’acte et du propos est-elle une nouvelle façon de gouverner ? Parce qu’une fois de plus, ici, ma conviction est que « l’histoire » a bon dos.

Maurras hante la politique française depuis plus d’un siècle. Il reste une référence pour certains souverainistes et pour l’extrême droite. C’est un fait. Les thèmes « maurrassiens », si fédérateurs, comme il l’avouait lui même, reviennent aujourd’hui en force dans le débat public. Le nationalisme, la dictature étatique, l’infantilisation des masses, la pensée unique, la critique constante du parlementarisme, le christianisme fondateur, et bien évidemment, « l’étranger » comme ennemi désigné et bouc émissaire. L’école « maurrassienne » à encore de beaux jours à vivre.

Yoann Laurent-Rouault