Soulages avait choisi l’abstraction, car il disait ne pas voir l’intérêt de passer « par le détour de la représentation. Je ne représente pas, je présente. Je ne dépeins pas, je peins ».
La peinture en tant que telle. La matière. Le duel entre lumière et ténèbres, entre la couleur et la non-couleur, entre le support caché ou l’emploi de la toile comme valeur constructive…
Ne plus représenter, mais présenter.
Un peintre n’est pas un photographe. Un peintre n’est pas un artisan qui doit cacher sa sueur et obligatoirement livrer du « beau » au spectateur. Un peintre est libre. Libre de présenter ce qui l’inspire, de chercher dans le réel comme dans le rêve, d’explorer le monde et ses lumières, le monde et ses matières, le monde et sa folie. Autant de thèmes que les peintres depuis Cézanne et sa montagne Sainte Victoire, et encore avant Van Gogh avec ses Tournesols, Munch avec le cri, ou encore les expressionnistes comme Kokoshka avec sa fiancée du vent, puis les coloristes comme Klein, les pointillistes comme Pissarro, les futuristes comme Umberto Boccioni avec ses Formes uniques dans la continuité de l’espace, les cubistes avec la maison à l’Estaque et le principe de frontalité et je passe quelques dizaines d’œuvres totalement novatrices et fer de lance de nombres de mouvements. Tous ont exploré le sujet pour faire vivre l’art moderne. Tatline, Malevitch avec son carré noir sur fond blanc, puis son carré blanc sur fond blanc en 1910, Boccioni qui emploie la trouée de la sculpture comme valeur constructive, Matisse qui avec l’atelier rouge en 1913 signe la première sculpture dans de la couleur, Marcel Duchamp avec son grand verre, Picasso avec sa nature morte à la chaise cannée qui introduit directement des fragments de vies réelles dans la toile, tous, tous ont recherché des voies pour l’art comme pour leur art. Des voies que les néophytes et les béotiens nomment « l’art abstrait » avec dédain.
Pierre Soulages était un des derniers grands maîtres, ses recherchent sur la lumière sont dignes de celles des nymphéas de Monet, des « nœuds » de Seurat, des clairs-obscurs des Flamands, Rembrandt en tête.
Son approche picturale n’est pas celle de choix prédéfinis, mais s’élabore dans la peinture en train d’être « faite » et dans les interactions entre le peintre et sa réalisation lors du processus de création, dans les rapports aux formes, proportions, dimensions, couleurs… c’est ce que l’on peut lire en analyse de l’oeuvre, et c’est à mon sens très bien exprimé.
L’art abstrait, ce n’est pourtant pas si difficile à comprendre. Trois tendances, trois orientations principales pour fondements : géométrique(Mondrian, Braque), colorée (Kandinsky, Matisse, Klein), gestuelle (Pollock). Trois directions, trois grandes familles. Qui parfois se sont rejointes, et parfois haïes. Ce que vous appelez un « peintre » est surtout un chercheur, qui imprime ses travaux sur un catalogue, qui écrit sur ses recherches, qui progresse sur une idée matrice et principale pendant parfois toute une vie. C’était le cas de Pierre Soulages.
YLR