Voici un extrait de ma préface du célèbre 1984 d’Orwell :
« Gros succès dès sa sortie en librairie en 1949, le célèbre 1984 de George Orwell n’est jamais tombé dans les oubliettes de la littérature ; au contraire, il s’est affirmé au fil du temps comme l’un des principaux monuments de la littérature anglaise et même mondiale du XXe siècle. Mieux : une bible romanesque dénonçant les régimes autoritaires.
Pourquoi 1984 ?
Parce que George Orwell dépeignait un monde futuriste, ni très proche, ni très lointain de son époque. Son époque était celle de l’après-guerre, époque post-nazisme où s’affirmaient d’autres pouvoirs dictatoriaux tout aussi ravageurs, en URSS puis en Chine. L’ouvrage d’anticipation a été écrit en 1948. L’auteur a donc tout simplement inversé les chiffres pour arriver à 1984. Car ce livre, bien que publié en 1949, a bel et bien été écrit en 1948. C’est d’ailleurs parce que cette inversion des chiffres était si importante à son auteur que, une fois n’est pas coutume, sur la couverture de la présente édition, nous avons retenu 1948, année d’écriture, et non 1949, année de publication.
Entre 1948 et 1984, il y avait un écart de 36 ans.
Rajoutons ces 36 ans à 1984 et on arrive à… 2020 !
2020 est précisément l’année d’une nouvelle jeunesse pour ce grand classique du fait que de nombreux observateurs ont cru déceler une véritable analogie entre le contexte autoritaire mis en place en Europe et en Asie à l’occasion de la crise sanitaire, et le contexte narré par Orwell dans 1984.
J’ai voulu, en tant qu’éditeur, publier ce monument dans notre collection « Les Atemporels », dès lors qu’il tomberait dans le domaine public, c’est-à-dire en 2021. Pour cela, ma maison d’édition l’a fait traduire, et j’ai tenu moi-même à le préfacer. La traduction que vous avez entre les mains est donc une exclusivité JDH Éditions. Les fans de 1984 en langue française pourront donc le relire sous un autre angle.
Je pourrais longtemps disserter sur la comparaison entre 1984 et les restrictions imposées en 2020 et 2021. Même si je dois les mentionner, cela ne sera qu’à titre d’exemple, car je souhaite que le propos de cette préface ait une portée plus vaste, qui transcende les bornes d’une période ou la politique de tel ou tel chef d’État. L’œuvre d’Orwell est universelle. Tant qu’elle ne sera pas censurée par une Police de la Pensée, elle demeurera un guide de réflexion, une grille d’analyse dont chacun de nous devrait s’imprégner.
Chaque époque où s’érigent, ici ou là, des pouvoirs autoritaires peut être mise en parallèle avec 1984. Les années 2020 ne font pas exception.
Évidemment, nous ne sommes pas dans le monde sombre dépeint par Orwell. Il n’y a pas un Parti au pouvoir comme c’est le cas dans 1984, sauf dans quelques États comme la Chine. Et dans ce pays, cela ne date pas d’hier, mais précisément de 1949, année de publication du présent monument, qui est aussi l’année où Mao arriva au pouvoir. L’Histoire, la grande Histoire, a ses troublantes coïncidences… De la même manière, notre monde n’est pas le théâtre d’un affrontement entre l’Océania, l’Eurasia et l’Estasia. Pas d’affrontement militaire comme dans le célèbre roman, mais la métaphore de l’affrontement économique, de l’affrontement idéologique entre un bloc de l’est, un bloc américain et un bloc européen, n’est-elle pas suffisante à montrer qu’Orwell avait vu juste ? Un romancier d’anticipation n’est pas censé avoir une boule de cristal et décrire le futur avec exactitude, mais par ses métaphores, imaginer un futur qui, lorsqu’il se conjugue au présent, permet de déceler les allégories que l’Histoire aura bien voulu nouer.
Le parallèle le plus pertinent à mon sens que l’on puisse faire entre 1984 et notre monde actuel concerne « Big Brother ».
(…) »
Jean-David Haddad