Propos sur le bonheur Alain.

Donne-moi, s’il te plaît, la clé de nos bonheurs, donne-moi la clé pour être heureux, donne-moi la clé de ta joyeuse philosophie et fais-moi penser s’il te plaît, à changer l’eau des fleurs ce midi.

Dis-moi comment je peux gribouiller mon ardoise de poésie, donne-moi des craies de couleur, et tu avais raison, à partir de ce dimanche, je vais laisser la boîte aux lettres aux oiseaux. Fais-moi aussi penser à offrir du bonheur et à ne pas oublier le pourboire pour le laitier…

Des Propos sur le bonheur, je n’ai retenu que cette philosophie illustrée, presque chantée, cette ritournelle agréable qui a convaincu mes 16 ans que le domaine de la philosophie n’était pas réservé seulement à des Grecs morts aux mœurs discutables. Alain, c’est pour moi et quelques autres de mes connaissances, une veduta dans la nature morte de la philosophie. Un coin de ciel bleu dans le tableau, une ouverture céleste. Il écrira : « Je tiens qu’un des secrets du bonheur, c’est d’être indifférent à sa propre humeur. »

Quel beau pied de nez à la philosophie des austères penseurs amateurs devant l’éternel de l’onanisme du cortex !

Je préfère que l’on m’enseigne l’art de sourire, l’art de bâiller, ou l’art de voyager plutôt que l’art de mettre quatre frittes dans les coins d’une pièce ronde. Messieurs les philosophes confirmés et amateurs, lisez donc Alain pour redescendre parmi nous, en douceur. Car pour ceux d’entre vous qui ont besoin d’un bol d’air frais en ces temps troubles et spongieux, lâches et autoritaires, agressifs et diviseurs, Alain est comparable au sirop Typhon, il est le remède universel et sans complexe.

Ne m’en voulez pas si vous le pouvez et ne tenez pas rigueur à notre éditeur de publier ces lignes vagues et scélérates, sinon quantiques, surtout dans une collection de classiques de la littérature aussi sérieuse que nos chers Atemporels. Mais, comme à chaque fois, et comme je ne préface que les livres que j’aime, j’essaie de traiter sincèrement mon sujet. Et cette préface va se tenir comme se tient un article littéraire dans une presse qui ne lui est pas spécialement dédiée. J’ai eu mon bac, arts, philosophie et lettres en 1994, et depuis 1999, date à laquelle je suis sorti des beaux-arts et de l’unité de valeur que représente la philosophie des arts, j’avoue, j’ai brûlé mes copies et mis les diplômes au milieu. Un cancre reste un cancre et pour ma descendance, je l’ai écrit et j’en ai fait un pamphlet qui me privera à jamais des palmes académiques, Tu n’iras pas à l’école, mon fils.

J’ajoute que les Propos sur le bonheur d’Alain ont justement été écrits pour la presse quotidienne régionale entre 1906 et 1924 avant de devenir un recueil en 1925. Ce qui place cette philosophie entre le beurre et la confiture et le café et le pain grillé et c’est heureux. C’est une nourriture terrestre comme une autre. Il existe une centaine de ces propos. Il faudrait les relire consciencieusement. Ce qui pourrait nous distraire du sanitaire. « Ces Propos se caractérisent par leur brièveté sereine et les emprunts heureux qu’ils font à la vie quotidienne », dit maître critique perché sur sa branche numérique.

Quotidienne ?

Cela tombe bien, j’aime les almanachs. J’en possède plusieurs de ce bon monsieur Vermot, chiné dans des brocantes, des vide-greniers et des bouquineries. Et les Propos sur le bonheur me ramènent à ceci, à une autre définition non pas d’un concept abstrait, mais d’une philosophie pratique : « Un almanach est conçu pour être lu au rythme d’une page par jour. Ces pages contiennent des informations pratiques, des blagues et des calembours, des illustrations et divers autres éléments rassemblés pêle-mêle. »

Illustrer les Propos sur le bonheur serait d’ailleurs une bonne idée. Il ne leur manque que ça pour être en phase avec le règne de l’image de ce début du XXIe siècle sans Lumières. Mais, j’entends par-delà les sillons, mugir les féroces penseurs, qui viennent jusque dans mon bureau, incendier ordinateur et papier. Je vais trop loin. D’ailleurs, les féroces soldats de la pensée ne sont pas les seuls à justement penser ainsi : mon chien m’aboie, depuis le tapis, que la philosophie n’est pas une plaisanterie. Il grogne farouchement. Je lui rétorque qu’il devrait lire les textes de Raymond Devos avant d’aboyer dans le désert et d’obliger la caravane à brancher son GPS. Il acquiesce.

C’est quelqu’un mon chien !

Depuis quelque temps, d’ailleurs, mon chien m’inquiète… Il se prend pour un être humain et je n’arrive pas à l’en dissuader. Ce n’est pas tellement que je prenne mon chien pour plus bête qu’il n’est… Mais qu’il se prenne pour quelqu’un, c’est un peu abusif ! Quoique, quoique…

Pourquoi donc oser mettre en almanach la philosophie pratique ? La réponse est dans la question et peut se compléter par un proverbe populaire : à chaque jour suffit sa peine.

Et pourquoi donc citer un comique, même le grand Raymond Devos, plutôt que le dépositaire d’un numéro de siège à la coupole ? Parce qu’Alain a cette force de se faire comprendre par le plus grand nombre, d’être juste et accessible et de ne pas privilégier un musicien de l’orchestre pendant le concert. Michel Colucci est aussi un philosophe. Tout comme Alphonse Allais. Il est des filiations que j’établis assez facilement… J’ai, je crois, loupé ma vocation d’officier d’état civil.

Je ne sais pas pourquoi, j’associe toujours les deux personnages. Allais et Alain. Dans l’autre sens, ça marche aussi. Ce qui en fait une formule très philosophique. Sur le sens des choses. Comme dirait Francis. Mais je passe l’éponge. J’en parlerai à mon chien quand il reviendra de sa promenade. Revenons-en à Alain et Allais. Dans cet ordre, puisque ça marche aussi. En vers holorimes. En vers et contre tous. Car, une des caractéristiques les plus notables et reconnues d’Alphonse Allais est l’art de tirer à la ligne et d’ouvrir une parenthèse, plutôt qu’une fenêtre quand on étouffe. Et n’est-ce pas l’effet de notre philosophie qui propose le bonheur plutôt que le mal de crâne ?

 

Je continue ma lecture, bien que l’érudit que je suis pourrait se contenter de copier et de coller (mal de l’époque), et je lis ceci, que pour le coup je copie et je colle, mais pour l’exemple et la gloire au champ d’honneur : « Devenus livre, ces Propos sont un bel exemple de mariage réussi entre presse et philosophie, démontrant qu’il est possible de relever l’entrefilet au niveau de la métaphysique. » Ces derniers mots sont d’Alain lui-même. En italique. Je précise. Un entrefilet, c’est comme un entre-deux. C’est un entre-bâillements. Ce qui va de pair avec la philosophie et une classe d’adolescents pris en otages sur les bancs d’une salle obscure et lycéenne. Comment ne pas bâiller quand on vous parle de la métaphysique, les lunettes sur le bout du nez, un pavé de papier à la main et une jupe réglementaire coupée sous le genou qui ravit aux regards des jambes probablement, d’un point de vue métaphysique, extrêmement intéressantes. C’est le souvenir que je garde de mes cours de philosophie. Elle nous parlait de Kant, je pensais Apollinaire, elle nous parlait de Socrate, je pensais Musset, elle nous parlait de Descartes, je pensais Colette… Ah, Mademoiselle, que j’aurais aimé pouvoir vous offrir de me donner des cours particuliers ! Ce qui me renvoie non seulement à la notion de désir, mais aussi à la notion d’argent, qui sera traitée utilement par Alain.

Ce qui nous amène, et vous constaterez alors que cette préface est bien construite et que je ne ménage pas ma peine à ceci : « De la description du mécanisme des passions et de son effet néfaste sur le sujet humain aux vertus de l’action dominée par l’esprit, Alain livre quelques clés pour accéder au bonheur, ici et maintenant. » Et mon bonheur aurait été sur l’instant, de réviser le chapitre de l’épicurisme avec ma professeure, tout droit sortie d’un fantasme classé X, et ce n’est pas Kant, avec ses classements et ses hiérarchies des arts qui me donnerait tort.

Mais, puisque dans un article comme dans une copie, et même si je suis le rédacteur en chef de L’Édredon, la revue littéraire de notre maison d’édition, je ne suis pas à l’abri de me voir biffé d’un trait rouge vengeur. Le comité éditorial veille sur les publications comme monsieur le maire veille sur le bulletin municipal. Aussi, je reviens séance tenante, et sous la menace, à la métaphysique. Comme vous savez probablement, cher lecteur, donner la définition exacte du mot, je vais quand même la redonner pour ceux qui ne la connaissent pas. Selon Larousse, puisque Robert, en son mot, va encore m’éloigner du sujet et m’entraîner sur la piste de quelques célèbres Roberts, comme Badinter ou Hossein, par exemple.

La métaphysique est donc : métaphysique est un adjectif (qui qualifie les choses, alors ?) relatif à lui-même. (Sujet préféré du philosophe classique.) En un deuxième sens, il peut être péjoratif. (Comme le mot République actuellement, dirait Platon.)  Le sens péjoratif se détermine ainsi : Qui est très abstrait et hermétique.

Ce qui me renvoie de facto à l’enseignement de la philosophie classique. Pour le nom féminin, et c’est ici que comme d’habitude les choses se compliquent d’elles-mêmes, nous abordons le sens philosophique premier du mot : Partie de la philosophie qui traite des causes premières de l’Être, de l’univers. Vaste programme.

Mais Mars attendra.

Au sens figuré, l’académie me précise ceci sur cette définition du mot : toute recherche systématique portant sur les fondements d’une activité humaine.

Cette dernière phrase me renvoie elle-même à la définition de l’art elle-même et incarnée par un marchand de sel et une pissotière posée à l’envers sur la table en 1917, Marcel Duchamp qui disait donc que : « Est art tout ce qui est manufacturé par l’homme. » Donc créé par l’homme. C’est-à-dire tout ce que la nature ne livre pas à la naissance. Mais qui dépend d’un apprentissage, d’un outillage et des relations humaines. Donc non essentiel à la survie de l’espèce. D’un point de vue métaphysique. Mes raccourcis sont volontaires, mais efficaces, n’est-il pas ?

 

À l’occasion du Nouvel An, dans « Bonne année », le philosophe qu’est Alain critique le déchaînement des passions tristes que provoquent les dépenses d’argent et conclut par : « Je vous souhaite la bonne humeur. Voilà ce qu’il faudrait offrir et recevoir. » Souhaiter la bonne humeur plutôt que la bonne année me paraît indiqué. Qui sait ce qu’une année entière réserve à ses pratiquants ? Et si nous allons plus loin dans la réflexion, nous voyons qu’il dénonce le déchaînement de passions tristes que provoque l’engouement dépensier des fêtes de fin d’année. Quel homme suis-je, alors que fais-je comme cadeau en relation avec moi-même ? Ce cadeau traduit-il ma condition, mon intelligence et ma sensibilité ? Ai-je les moyens d’acheter et d’offrir un cadeau à la hauteur de mon personnage comme à la hauteur de l’affection que je porte à la personne qui reçoit ce cadeau ? Un cadeau peut-il être une sanction ? Une désapprobation ? Une désillusion avouée ? Une souffrance. Tout ceci avant d’être une joie et un plaisir, comme se plaisent à le dire les fleuristes. Qu’est-ce qui me pousse à participer à la grande messe de Noël et à offrir dans l’attente de recevoir, à une date donnée et seulement à cette date ?

Voici une philosophie pratique définie par l’exemple. Alain en décrira plus d’une centaine et nous fera réfléchir. Utilement. Je recommande à tous la lecture des Propos sur le bonheur, et je vous le souhaite en retour, ce bonheur, simplement et durablement.