Interview de l’éditeur Jean-David Haddad par Yoann Laurent-Rouault, au sujet de la réédition des classiques de la collection Atemporels chez Memoria Books et en grands caractères.
YLR : Monsieur Haddad, vous êtes en train de procéder à la réédition, pour Memoria Books, de grands classiques de la littérature internationale jusqu’ici publiés par JDH Éditions dans la collection Les Atemporels, une collection à succès s’il en est, et la particularité de ces rééditions est qu’elles sont imprimées en corps 18, donc en grands caractères. Pourquoi donc avez-vous mis cela en place ?
JDH : Je souhaite que notre maison d’édition puisse proposer tout un panel de choix possibles sur les œuvres du domaine public. Ma conviction, depuis le début de l’aventure, c’est qu’il faut rendre hommage à la littérature classique, qu’il s’agisse de romans, d’essais, de philosophie, ou encore de livres polémiques, comme pour l’exemple Le Capital de Marx, qui a changé le monde en son temps… Je souhaite décliner ces livres sous des formes différentes. Il y a donc dans nos collections des livres illustrés, les œuvres documentées, il y a les œuvres essentielles qui rassemblent plusieurs textes d’un même auteur et maintenant les grands caractères.
La police que nous avons choisie est une police Arial, c’est-à-dire une police très simple, sans fantaisie, lisible par tous.
YLR : Les grands caractères s’adressent en particulier à un lectorat qui pourrait avoir des problèmes de vue, mais aussi peut-être à un lectorat qui cherche tout simplement le confort de lecture… nous connaissons tous les affres de la fatigue oculaire liée aux écrans… mais, est-ce que ça a été la première motivation pour vous d’offrir aux malvoyants la possibilité d’avoir accès à ces œuvres du domaine public ?
JDH : Oui, dans les deux cas. La police que nous avons choisie est une police Arial, c’est-à-dire une police très simple, sans fantaisie, lisible par tous. Et oui, nous offrons aussi cette facilité de lecture à tous ceux qui ressentent de la fatigue oculaire et bien sûr aux presbytes, qui représentent 40 % de la population européenne.
YLR : Alors c’est un phénomène d’édition relativement nouveau, en tout cas chez JDH Éditions, et donc pour Memoria Books, de « recycler » ces grands textes et les dossiers documentaires qui les accompagnent ainsi que les préfaces d’auteurs contemporains… mais pourquoi ne pas avoir directement tenté de publier ces œuvres aussi en braille, puisque nous savons que dans la littérature qui paraît pour les non-voyants et non pas les malvoyants, le champ est relativement restreint sur les classiques…
JDH : Notre système actuel nous permet de référencer les livres sur les plateformes en même temps que nous les publions, ce qui nous permet de grouper l’impression et la distribution, mais il ne nous permet pas cette fonctionnalité qui serait de publier en braille. Cela pourrait être une option ultérieurement. Mais encore une fois, l’imprimeur avec lequel nous travaillons actuellement ne nous permet pas de faire ça, il faudra envisager un système supplémentaire pour ce faire…
YLR : Alors, si on ajoute les livres publiés avec de grands caractères comme vous l’avez décrit, les livres audio et les livres en braille, est-ce que vous êtes d’accord avec l’idée que c’est aux éditeurs de porter la culture de la meilleure façon qui soit et pour tous, et ce, au-delà du handicap ?
JDH : Disons que les éditeurs ont un rôle à jouer et que la culture ne se limite pas aux livres… Dans le portage de cette flamme de la culture, pour faire un parallèle avec celui de la flamme olympique, puisqu’on est dans cette période, les éditeurs font partie de la course au relais…
Nous avons donc opté pour un format comparable à celui des livres déjà publiés par Memoria Books, donc un format assez grand, qui est proche du format des romans grand public.
YLR : Que pouvez-vous nous dire sur le format du livre, puisque qui dit « grands caractères » dit plus de papier utilisé, et sachant que les livres publiés dans les collections de Memoria Books sont de très grande qualité et rejoignent la catégorie « beaux livres », avec une mise en page très soignée et avec des illustrations le cas échéant, quelle est la gamme de prix de ces livres en grands caractères ? Et quels sont les critères que vous avez retenus en termes de format et de prix ?
JDH : Nous ne sommes pas partis sur un format A4, parce que ce format n’est pas pratique pour la manipulation du livre, pour son transport comme pour son stockage. Nous avons donc opté pour un format comparable à celui des livres déjà publiés par Memoria Books, donc un format assez grand, qui est proche du format des romans grand public. Ce qui fait qu’un livre qui affichait 150 pages en impression dans la collection Les Atemporels de JDH Éditions passe à 300 pages pour une impression en grands caractères. La gamme de prix est forcément supérieure, mais on est à mi-chemin entre Les Atemporels et les Memoria Books illustrés. Je vous donne un exemple : j’ai entre les mains Psychologie des foules écrit par Gustave Le Bon en petits caractères qui est au prix de 6,95 €, et de mémoire, le Memoria Books illustré magnifiquement par Yoann Laurent-Rouault est à 22 €. Le format en grands caractères est à 16,95 €…
YLR : Donc nous sommes sur des tarifs intermédiaires…
JDH : C’est exact. Depuis quelques années, on trouve des livres en grands caractères, mais seulement dans les librairies spécialisées et il y en a très peu. Là avec notre système, les livres en grands caractères seront disponibles sur toutes les plateformes en ligne.
Le but est de tous les rééditer
YLR : Nous savons que dans la collection Les Atemporels, certains titres classiques marchent mieux que d’autres… et que certains de ces livres font de très bons scores de ventes qui peuvent avoisiner les 10 000 exemplaires vendus sur une période de 36 mois. Est-ce que donc vous allez donner d’abord priorité aux classiques en grands caractères en fonction des scores de ventes que ces livres ont réalisés ?
JDH : Disons que le score de ventes réalisé est un critère de choix dans notre ordre de réédition, mais le but est de tous les rééditer. Mais évidemment, on ne va pas le faire sur 2 mois… nous avons commencé au mois d’avril et nous allons continuer ponctuellement. Nous voulons aussi donner une chance à ceux qui se sont le moins bien vendus, pour peut-être aller trouver un public sur les grands caractères… Si je prends par exemple Gatsby le Magnifique que nous avons édité en Atemporels et en livre illustré avec un très beau papier et en plus une version bilingue et des illustrations à couper le souffle, ni l’un ni l’autre ne se sont vendus malgré la traduction très récente et saluée de Clémentine Vacherie… Nous l’avons mis dans les grands caractères en espérant qu’il puisse aussi trouver un public…
Aujourd’hui, nous sommes dans une société où les gens cherchent des conseils et des renseignements…
YLR : Nous avons remarqué, et c’est global et ce n’est pas que le fait de votre maison d’édition, que la littérature générale à compte d’éditeur est en train de ralentir en production. Et le phénomène semble se généraliser au monde de l’édition tout entier… Nous avons aussi remarqué que chez JDH Éditions, il y a un retour au livre de finance, d’ailleurs nous avons fait une interview assez récemment sur le sujet, comme il y a un retour au livre pratique et puis bien sûr, il y a le livre d’entreprise, le livre corporatif ou les biographies qui se développent ; donc nous assistons au retour du livre utile… Mais qu’en est-il de la littérature générale chez JDH ? Est-ce que 2024 affichera la même tendance que 2023, c’est-à-dire avec beaucoup moins de production en littérature générale avec des auteurs contemporains ?
JDH : Je dois dire à grand regret, et pour l’ensemble des collaborateurs de JDH Éditions, que ce sera le cas. Mais vu que nous sommes une société donc à but lucratif qui doit faire des bénéfices ou au moins être à l’équilibre, nous avons de nombreuses charges et la littérature générale ne nous a pas permis de réaliser le chiffre d’affaires que nous espérions. Et donc nous sommes obligés de réduire sur ce secteur pour privilégier des projets qui ont plus de débouchés, et qui font plus de ventes. Comme vous le dites si bien, le livre utile fonctionne parce qu’aujourd’hui, nous sommes dans une société où les gens cherchent des conseils et des renseignements.
YLR : Pourtant, Monsieur Haddad, en littérature générale, il y a eu quand même dans les productions de la maison depuis 2019, quelques succès d’estime, notamment avec des livres qui ont fait des passages télé et il y a eu aussi la collection pamphlétaire, récompensée et primée…
JDH : Mais ce n’est pas suffisant en termes de chiffres et en termes de retombées pour la maison d’édition… Si je prends les meilleurs succès de JDH Éditions, malheureusement ils ne sont pas dans la littérature générale.
YLR : Merci Monsieur Haddad pour cet entretien.
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