Une nouvelle interview très personnelle, donc atypique voire déroutante, réalisée par Jean-David Haddad sur des sujets qui le passionnent. Il interviewe Tancrède Culot-Blitek, coach sportif, directeur de salles de musculation, diplômé en biomécanique, à l’occasion de la sortie de son livre « TRIBUNAL DE LA MUSCULATION » dans la toute nouvelle collection « Sporting Club de JDH Editions ».
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JDH -Bonjour Tancrède. Tu es l’auteur de « Tribunal de la musculation », un livre qui inaugure la collection « Sporting Club de JDH Editions ». Pour nos lecteurs, je précise qu’ayant été sportif, ayant fréquenté les salles, les clubs de sport, les compétitions, je garderai l’habitude des sportifs du tutoiement réciproque. Voilà pourquoi je tutoie les auteurs de cette collection, même si nous ne nous sommes pas encore rencontrés, ce qui viendra ! Avec un tel titre, on se doute que ce n’est pas un livre gentillet qui donne des conseils pour se muscler chez soi !
TCB – Bonjour Jean-David ! Effectivement, dans le sport en général, on ne se pose même pas la question concernant le tutoiement ! Et, toujours effectivement : des livres qui donnent des conseils sur ce qu’il faut faire, il y en a pléthore, et pas toujours bons, pardon. J’ai essayé de faire un livre sur ce qu’il ne faut PAS faire, plutôt. Après, libre à celui qui a lu le « Tribunal » d’aller voir dans les autres livres si ça correspond !
JDH – Tu diriges trois salles de musculation si j’ai bien compris. Qu’est-ce qui te dérange dans les pratiques actuelles ?
TCB – En réalité, avec le rachat imminent d’une autre société, c’est plutôt quatre salles, dont deux studios de « personal training ». Le problème de notre secteur, selon moi, c’est la trop grande accessibilité au tout venant : les diplômes tels que les CQP, les BPJEPS et même les diplômes universitaires, sont trop médiocres. C’est le domaine de la santé, au sens large, le plus démocratisé ; tout le monde y est spécialiste, tout le monde peut donner des conseils, affirmer telle ou telle chose. Et donc les salles de fitness sont devenues des miasmes d’absurdité, ou on voit tout et n’importe quoi. Or, je le répète : il s’agit de SANTE. C’est embêtant.
JDH – J’ai fréquenté ces salles à l’époque où j’étais jeune homme et où tu naissais… Une époque que tu n’as donc pas connu mais dont on a du beaucoup te parler… Qu’est-ce qui a tant changé depuis ?
TCB – Il y a moins de trente ans, donc ! Mais en dix ou vingt ans, déjà, tout a changé. Avant, la « musculation » était un sport marginalisé, qui se pratiquait en cercle plus fermé. Aujourd’hui, pour répondre à ta question, la différence majeure, c’est internet. Les réseaux sociaux, youtube. Les sites internet de ventes de programmes et les blogs. Avant, un type qui racontait n’importe quoi ne le faisait qu’à quelques autres dans sa salle de quartier ; aujourd’hui, avec un ordinateur, il peut le faire à des milliers, des millions, de personnes, en s’auto-proclamant expert.
JDH – J’ai les paroles d’un tube de l’an dernier qui me viennent en tête… « Ne t’arrête pas quand t’as mal mais plutôt quand t’as tout donné, oui tout donné. Toujours se relever, toujours recommencer
Interdit d’abandonner ». Tu as reconnu Soprano ! Qui dit plus loin : « Prouve-moi que t’es une machine en enchaînant les fractionnés. Ne t’arrête pas quand t’as mal mais plutôt quand t’as tout donné, oui tout donné ». Elle est terrible cette chanson, non ?
TCB – Ahah, oui. J’ai souvenir d’une cliente, une dame quinquagénaire attachante, qui me demandait de la passer dans le studio pendant ses séances ! Bon, par contre : ne prenez pas ça au pied de la lettre (je m’adresse aux lecteurs). S’entraîner, c’est bien, éprouver continuellement ses limites, moins !
JDH – C’est ça que tu dénonces ? Qu’on devienne des machines, qu’on n’a pas droit de récupérer…
TCB – Je ne le dirais pas comme ça… C’est plutôt qu’on copie des gens qui sont des machines à nos yeux, qui est le problème. Si on parle de musculation, quatre-vingt-dix pour cent des résultats à très long terme sur l’aspect esthétique du pratiquant dépendent de son capital génétique, bien plus que de ses méthodes de travail ou de sa nutrition. Ainsi, un mec avec un physique qu’on aimerait avoir ne fait absolument pas forcément un bon coach. Ses conseils peuvent être extrêmement mauvais, mais sa génétique très bonne. C’est souvent le cas. Mais si l’on ne peut maîtriser que dix pour cent de notre pratique, alors il faut maximiser chaque « un pour cent » ; c’est là qu’est mon combat.
JDH – Parlons COVID. Comme je le dis toujours, je m’étais remis à la muscu il y a 5 ans… Horreur ! Il fallait tout désinfecter, on est pistés si on ne désinfecte pas… Elle est loin l’époque où on alternait du développé couché dans la bonne humeur, où on se crachait dans les mains pour mieux agripper la barre… Cette évolution d’une société qui aseptise tout, l’as-tu aussi perçue ? Moi je dis que les conditions d’une société qui flippe à mort devant les microbes, les maladies, les virus, a germé ces dernières années et qu’on a bien vu ce processus dans les salles de muscu…
TCB – Les grandes enseignes de fitness, c’est vraiment ça oui. Et par moment, ça devient un peu ridicule, je suis d’accord. Mais il faut bien se dire que dans certaines salles, des milliers de personnes peuvent passer chaque jour. Et lorsqu’on les fréquente quotidiennement, ça peut avoir un côté rassurant… Ce que moi je ne supporte pas, c’est cette manie collective de ne rien ranger ! Haltères, disques, poignées : on prend à un endroit, on remet à un autre, ou même on ne remet pas du tout… Et très vite, la salle est un Enfer pour l’athlète qui à une séance à organiser.
JDH – La crise du COVID est-elle pénalisante pour toi ? Je me doute que oui ! Avez-vous des aides de l’État par rapport à la fermeture administrative de vos salles ?
TCB – Ma société actuelle est récente (fin 2019), suite à des changements de statuts. Donc nous n’avons des aides que depuis récemment, et très peu élevées. Le plus frustrant, c’est surtout que nous perdons, comme tous nos collègues, des années de développement commercial, de travail. C’est un retour en arrière, en somme.
JDH – Je trouve que la sociologie des salles de muscu a beaucoup changé en 30 ans. Quand j’étais ado ou post-ado, j’étais le seul intello ! Il y avait des routiers, des dockers, des videurs… J’aimais bien cotoyer ces gars-là. Aujourd’hui beaucoup de cadres qui viennent après le travail. Cette évolution n’est surement pas étrangère à celle des normes hygiéniques, mais est-elle selon toi liée aux pratiques que tu dénonces ?
TCB – Je trouve que la démocratisation de la pratique est une très bonne chose : ce fût long, peut-être à cause des publics un peu dissuasifs qu’on y trouvait, comme tu le dis, mais aussi parce que les prix ont beaucoup baissé, et qu’auparavant seuls les purs adeptes y consacraient un vrai budget. Aujourd’hui, il y a de tout, oui, beaucoup de femmes notamment, et ça c’est super. Même si on fait un peu n’importe quoi, c’est forcément mieux que de ne rien faire, et il faut encourager les gens… En parts de marché, en pourcentages de la population, on est encore, en France, très en retard sur d’autres pays, du Nord notamment ; or on ne dira jamais assez tout ce que le sport apporte à la santé et à la qualité de vie à long terme.
JDH – A l’époque on voulait ressembler à Stallone. A qui veulent-ils ressembler aujourd’hui ?
TCB – A Jeff Seid, à Jeremy Buendia, à d’autres compétiteurs ou influenceurs connus, ou encore à Tibo Inshape ! Internet nous a donné quantité de modèles inaccessibles, et c’est à la fois une source de motivation, et d’illusions…
JDH – Qui dit muscu dit culte de la condition physique et de la force. Tu es spécialiste en biomécanique. Aussi j’ai quelques questions. De plus en plus de femmes fréquentent ces salles. A gabarit égal, à entrainement égal, et sans anabolisants ou testostérone, y a-t-il une différence naturelle de force physique entre hommes et femmes ? Si oui, la chiffres-tu à 10% ? 20% ? 50% ?
TCB – Oui. Forcément, évidemment, et inévitablement. La typologie musculaire, le nombre de myocytes, et le système endocrinien (hormonal), font d’un homme et d’une femme des profils différents ; ça vaut pour tous les sports (aussi puissante soit-elle, Serena prend 6 /0 6/0 contre un top 500 masculin). Mais attention : je connais des femmes bien plus fortes et plus musclées que beaucoup ‘hommes ! Que moi, même. Un corps humain reste un corps humain, et une femme peut atteindre des niveaux que peu de gens imaginent. Mais chiffrer est impossible : déjà, tu as parlé d’anabolisants, et cela fausse la donne car c’est trèèèèèès répandu. Ensuite, entre deux hommes de même gabarit et de même niveau d’entraînement déjà, les différences peuvent être infinies. Ensuite ça dépend de quel exercice on parle (au squat ou au développé couché par exemple), etc.
JDH – Est-ce que la taille influe sur la force ? Je présume que oui puisque des segments plus longs permettent des leviers plus importants et aussi d’avoir des muscles plus longs et donc plus importants… D’où peut-être une surcompensation des plus petits dans les salles…
TCB – Tout à fait ! Les leviers bien sûr, la longueur des muscles, mais surtout les rapports. Par exemple longueur du muscle par rapport à celle de l’os qui le supporte, longueur de fémurs par rapport au tibia et au buste… A taille égale, les proportions changent et font une énorme différence. Mais à très haut niveau, en bodybuilding par exemple, il n’y a que des petits : moins de blessures à long terme, aspects plus « ronds », forcément… En force, c’est un peu différent, car pour les strongmen, par exemple, faire deux mètres permet d’atteindre un poids de corps bien plus élevé, et donc une inertie plus importante (les champions font entre cent cinquante et deux cents kilos). Disons que dans l’ensemble, être petit est un avantage en musculation.
JDH – Pour qu’une femme et un homme aient la même force, en moyenne bien sûr, car chaque cas est différent, à entrainement comparable et à corpulence comparable, je dirais empiriquement à vue de nez que 10 cm de différence suffisent… autrement dit qu’une femme de 1m80 aura à peu près la force d’un homme de 1m70. Qu’en penses-tu ?
TCB – Non, je ne comparerai pas en ces termes. Encore une fois, il y a tous les cas, mais en général c’est incomparable. Si l’on veut que les gens se représentent, après quelques années de musculation, un homme, quelle que soit sa taille, peut faire des séries de développé couché, en général, à cent, cent-dix, cent-vingt, ou cent-trente kilos, au minimum. Pour une femme, c’est rarissime, voire impossible.
JDH – On stigmatise les obèses dans notre société et dans pas mal de salles de sport. A part quelques cas, on remarque pourtant que les hommes et les femmes obèses ont beaucoup de force physique. Surement peu d’endurance ou de souplesse mais beaucoup de force. Certains fricotent avec des records du monde de force (en traction, en soulevé, etc). Ton avis sur le sujet ?
TCB – Oui : comme je l’évoquais plus tôt, la masse procure de la force. Déjà, l’amplitude est drastiquement réduite (pour toucher la poitrine au développé couché il faut descendre beaucoup moins si l’on est obèse), et donc les mouvements moins durs. Ensuite, le principe d’inertie : par répartition des masses, quelqu’un de très lourd emmagasine énormément d’énergie cinétique en bougeant, qu’il transmet à sa charge… On peut aussi parler de surface de contact : avec un dos très large et gras la barre de squat trouve plus de surface ou s’appuyer, et la transmission de la force de poussée verticale ascendante est bien meilleure, si l’on veut un exemple. Enfin, et non des moindres : les athlètes recordmen sont hyper entraînés, et leurs muscles ainsi que leur système neuromoteurs sont très développés, mais on ne le voit pas sous le tissu adipeux ! Le fait qu’ils soient gras garantit qu’il s’entraînent en excédent calorique depuis très longtemps, et donc avec de l’énergie nécessaire pour récupérer et progresser.
JDH – Beaucoup d’anabolisants actuellement dans les salles de muscu ?
TCB – Oui. En entrant dans une salle, presque n’importe laquelle, je peux vous trouver quatre ou cinq individus chargés, voire beaucoup plus aux heures de pointe. Ce n’est pas rare.
JDH – Quelques mots sur le MMA que tu pratiques…
TCB – C’est un sport formidable. De valeurs, de respect, de fraternité. J’y aime l’aspect tactique qui permet à un combattant moins fort debout de trouver un game plan qui lui donnera l’avantage au sol, par exemple, ou vice versa. On y apprend sans cesse, on n’est jamais au sommet. Je ne combats plus depuis des années, mais je me consacre à l’enseignement, à mes jeunes.
JDH – Les meilleurs sont les brésiliens et les russes ; est-ce exact ?
TCB – Ce sont les américains. Même si le propos est, encore une fois, à nuancer. L’organisation phare est l’UFC, où les américains dominent plutôt. Mais il y a de grandes organisations ailleurs, avec des viviers de combattants moins médiatisés chez nous, comme au Japon. Mais il est vrai qu’au Brésil il y a cette culture du jiu jistu et du luta livre, en Russie du Sambo… ce sont des usines à champions.
JDH – Au MMA, beaucoup de rage et de hargne pour gagner, plus que de technique… C’est ça ?
TCB – Ahah, au contraire, la lucidité et la maîtrise de soi sont la clé ! Suivre le game plan, ne pas se « jeter », écouter le coach, ne surtout jamais céder à ses émotions… sinon c’est fini. Il y a trop de manière de perdre en MMA. Contrairement à une idée encore répandue, c’est un sport moins dangereux que la boxe anglaise ou le muay thai, où les impacts à la tête sont répétés.
JDH – Quelques mots pour conclure ?
TCB – Eh bien, tout d’abord, merci pour ces questions, et pour me donner l’occasion de parler vrai. Dans un milieu où n’importe quel youtubeur fait des tutos abdos pendant le confinement, il est difficile pour les professionnels aguerris de faire la différence. Je n’ai donc qu’une chose à ajouter : Achetez le Tribunal de la musculation, chez JDH Editions !
JDH – Merci Tancrède pour ces précisions et éclaircissements ! Un livre unique en son genre !
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