Personne dans le monde ne marche du même pas…
Sur les interfaces de rencontre, on trouve une population assez représentative de la vie quotidienne en général. Il y a de tout, à peu près le même « tout » qu’il faut pour faire un monde, c’est vrai. Même les filles qui nous disent « ne pas du tout croire en ces sites de rencontre », finissent par préciser « pourquoi pas » sur leur profil nouvellement validé. Je vous assure que le domaine des possibles est extraordinairement large dans ce « pourquoi pas », si tant est qu’on ait un peu l’esprit d’aventure. Je vous passerai les détails de ces quelques années d’expériences dissolues dans cet univers plus ou moins fantaisiste, plus ou moins croustillant. Il fallait absolument que je vous parle de Nadège.
On s’était donné rendez-vous sur le port, un port de France dont vous ne saurez rien, dans un troquet en France dont vous ne saurez rien non plus. Nadège étant ma championne du dating, elle mérite d’autant plus le respect et la préservation de son identité. Car ceci est une histoire vraie, de celles qui vous laissent coi, avec ce petit goût d’anecdote originale offerte subtilement par l’univers et à raconter à l’apéro. Au premier abord, le tête-à-tête était plutôt sympathique. Deux presque quadragénaires debout au comptoir, faisaient connaissance dans la joie et la bonne humeur, au milieu de jeunes fêtards qui braillaient leur désir de vivre en musique. Je pense que d’un côté comme de l’autre, nous n’avions pas d’attirance particulière susceptible de nous rapprocher, néanmoins quelques atomes crochus et des choses à partager autour d’un verre. Quelque soit la rencontre, je la trouvais toujours enrichissante, même avec une nana exécrable, ne serait-ce que pour parfaire « ma petite sociologie de la connasse », que Nadège n’était absolument pas. Le premier godet, probablement un martini blanc glacé me concernant, tourna beaucoup autour de nos emplois respectifs en « vie scolaire ». Nous partagions le même enthousiasme pour l’atmosphère lycéenne et prenions plaisir à accompagner des jeunes, aussi bien dans ces moments de légèreté que leur spontanéité permet au quotidien, que dans leurs travers qu’il fallait parfois recadrer, avec la posture haute de l’adulte qui doit faire comme s’il n’avait jamais fait de connerie. Ce sujet à lui seul aurait pu nous tenir la soirée…
Seulement voilà, on venait à peine de commander le deuxième verre, que Nadège devint soudainement blême. Elle semblait gênée et me baragouina à demi-mot qu’elle ne se sentait pas très bien. Forcément, je me suis dit que la meuf voulait se carapater, que ma tronche ne lui revenait pas, que les apparences et les préférences avaient résolument trop d’importance. Mais pas du tout, ses différents changements de couleurs confirmaient son malaise grandissant. Nadège avait mal au ventre, très mal au ventre, elle passait du jaune au vert avec une certaine agitation qui devenait inquiétante. A mon grand désarroi, le deuxième Martini blanc glacé resterait sur le zinc à moitié plein. Je prenais les choses en main en informant le portier du bistrot, sur le trouble de la demoiselle dorénavant blanchâtre. Comme quoi personne dans la vie ne choisit sa couleur. Le gars sympa aida la malade à s’installer sur un fauteuil en terrasse, le temps que je cours chercher la voiture direction les urgences. L’important c’est d’écouter son cœur. Nadège était raide. Elle était dans l’impossibilité de s’asseoir, elle ne pouvait plus fléchir le bassin, se tordant de douleur. L’aider à se loger dans la voiture fût particulièrement délicat. Je reculais le siège passager à fond pour que Nadège puisse quasiment s’allonger. Croyez-moi, ce n’était pas pour lui faire des avances. Elle ne pouvait que plier les genoux le temps du trajet, le reste du corps droit comme un piquet, contorsionnée pour gérer son calvaire. Nadège était maintenant livrée à un parfait inconnu, à qui elle devrait faire confiance pour rejoindre rapidement les urgences, fort heureusement situées à deux petits kilomètres.
Je la vois encore déconfite, me faire un petit signe de la main d’un sourire souffrant, alors qu’une infirmière venait de l’installer sur un fauteuil roulant dans une position improbable. Par acquit de conscience, je prenais des nouvelles le lendemain par SMS : appendicite avec péritonite opérée dans la nuit. Nous nous sommes rappelés quelques fois, pour la forme, mais n’avons jamais risqué ce fameux troisième verre. Moi qui à l’époque faisais tout pour sortir de la posture du “sauveur”, tout du moins dans mes relations affectives avec l’autre sexe… Je vais donc aisément pouvoir conclure en trois mots, sur cette courte soirée empreinte de péripéties : bien ouej Nadège.