Cadavres écrits.
Un collectif d’auteurs réunis autour d’un thème, c’est un peu comme une fête. Et je n’en suis pas à la première. Ni au premier. Des fois, l’ambiance donne et des fois elle reste assise. Un thème qui séduit le chef d’orchestre n’emballe pas forcément les musiciens. Et dans ce cas, pendant le concert, certains instruments jouent plus fort que d’autres, et trop de solos tuent l’orchestre. Ce n’est pas cet enfoiré de Jean Jacques Goldman qui me dira le contraire ni le directeur de la salle Pleyel…
Là, avec Cadavres écrits, dès le départ, l’ambiance est montée jusqu’à en devenir tropicale. Et très bizarre…
L’idée d’écrire une nouvelle pour le lancement de la collection Black Files m’avait emballée, comme l’idée de réunir une équipe d’auteurs, ayant tous des univers différents, venants tous de collections différentes, autour du thème du refroidissement par balle, de l’empoisonnement raffiné, de la torture agrée, de la gomme à effacer le sourire, du règlement de compte au comptant, du dessoudage en règle, du terminus des prétentieux, bref : du meurtre !
Dans la semaine qui a suivi mon annonce en interne sur les réseaux de la maison, 12 auteurs se sont proposés, et au final, il n’en survivra que 9.
Dura led sed lex.
Paix à leurs plumes.
Quant à moi, j’ai un passe sanitaire en poche.
Les premiers textes sont tombés les jours suivants.
Maryssa Rachel fut la première dans la grande rue pour le duel littéraire. Elle a tiré une fois et les quatre Daltons ont mordu la poussière comme un seul homme… C’est à peine si sa jolie silhouette a bougé. Pourtant, en face, ils ont embrassé la mort sans préliminaires amoureux …
Avec la belle, vous n’avez aucune chance de survie.
Elle est impitoyable.
Puis, sont venus les autres auteurs, petit à petit, insidieusement, avec pour commencer, Alain Maufinet, ce mercenaire travaillant dans le feutré, ancien officier du renseignement, qui se vend sans complexe aux gouvernements les plus corrompus et qui m’a emmené à la campagne, pour une veillée au feu de bois particulière. Depuis, j’ai bouché ma cheminée.
Puis, c’est Johann Beckers qui m’a proposé un tour dans les bois, avec de jeunes gens peu recommandables… même Francis Heaulme n’aurait pas osé raconter ça. Ce gars à un problème. Et sévère !
Et puis est venu un chat. Car dans cette histoire, il y a même un chat. Frank Antunes m’avait envoyé un chat ! Un griffu du diable ! Un chat noir… ce type m’en veut, c’est certain. J’irai brûler un cierge, même si je n’y crois pas, on ne sait jamais… Avec Antunes compter jusqu’à trois est un principe. Ne lui tournez pas le dos avant qu’il ne s’éloigne.
J’avais du mal à me remettre de ces premières auditions, je me demandais si on pouvait publier tout ça, et la bouteille de Jack Daniels rendait l’âme. Alors, j’ai prié Saint Anne de la miséricorde et j’ai écrit ma nouvelle. J’y suis témoin, pas assassin. C’est plus facile. Et puis je suis nul en math, je suis foutu de me gourer dans le calcul des dates pour la prescription…
Mais, alors que j’avais retrouvé un semblant de sérénité, j’ai reçu les autres textes : et c’est une horreur messieurs dames !
Surtout celui de ce Québécois barbu, Denis Morin, un dangereux personnage qui aurait inspiré, dit-on dans les milieux autorisés, John Boorman, pour son film « La délivrance ». En plus, il écrit comme Edgard Poe ! Un pervers ! Méfiez-vous ! Il travaille pour un évêché dans la vraie vie !
Et je n’étais pas au bout de mes surprises : Agnès Brown, cette délicate jeune femme, à la voix si douce, qui jusque là ne disait rien sans que l’on fasse le premier pas, débarque et m’emballe dans un méchant road trip avec psychopathe dans le coffre de la voiture et shérif au cul ! C’est une folle ! En plus, elle a écrit un autre polar depuis ! Je n’ose pas le lire. Personne n’ose le lire. On lui envoie son contrat comme ça…nous avons tous des familles !
Une autre journée s’achève et alors que je que nettoie paisiblement mon flingue, le téléphone se réveille, vibre et se rappelle à mon bon souvenir : je décroche. C’est une connaissance. Un journaliste de métier. Un chroniqueur judiciaire. Un de ces types qui griffonnent au bic et au tribunal et qui vous balance aussi sec dans la presse le lendemain. En gros titre. Un exécuteur. Il me dit que sa nouvelle et sur ma boîte mail et que je devrais la lire. Il dit qu’il sait des choses sur moi. Je raccroche. Je lis et je valide ce cauchemar écrit de Carlo Sibille Lumia. Ce type est un orfèvre du crime. J’ai presque envie de l’inscrire à la chambre de l’artisanat. En attendant, il sort un polar aussi et pas plus tard que ce mois-ci. Je fais semblant de ne pas savoir.
Avant que je ne m’en aperçoive, ma propre nouvelle était cernée de tueurs, d’empoisonneurs de psychopathes et de prédateurs sexuels ! Jamais je n’aurais dû me lancer dans cette histoire. J’en parle à l’éditeur. Je l’ai appelé tard dans la nuit. Il était bourré. Et là, il me dit que c’est bien dommage qu’il n’ait pas eu le temps de participer, parce que lui aussi, il en aurait à raconter…et il le fait. Je n’ai pas tout entendu. Je dois l’avouer. Je me suis évanoui d’horreur. Cet homme est encore plus dangereux que tous les autres.
Las, j’ai raccroché, fermé les portes à clé, mis mon Beretta sous l’oreiller et je me suis endormis. Mais, un cauchemar est venu me torturer, et ça, je sais d’où ça vient. C’est Jean Hugues Chevy, un autre auteur fou, un adepte de l’apocalypse, un type du genre « no futur » qui tripe sur des héroïnes aux crânes chauves et qui s’inspire des classiques de la littérature jeunesse !
Bref, la nuit fut agitée, mais au réveil, du peu que j’avais pris au sommeil, je me suis dit : ça y est c’est fini !
On a bouclé la boucle.
Je prends mon café sans rire et en ne regardant personne, tout en envisageant sérieusement de changer de métier, quand soudain on sonne à la porte. Je vis dans une campagne isolée, et personne ne vient jamais dans ma gentilhommière. Intrigué, j’enfile mon jean et mon gilet pare-balle et j’ouvre la porte d’entrée, flingue en pogne. Je crie. Je ne peux retenir un cri. C’est Peter Falk en personne et en fantôme, qui me tend une enveloppe jaune. Je la prends, la main tremblante. Il dit :
« Au revoir m’ssieurs-dames » et il tourne les talons.
J’ouvre l’enveloppe.
Et en première page de la liasse de feuillets, deux mots apparaissent en caractères rouge sang : Sylvie Bizien.
Je ne suis pas Batman et mon clébard ne s’appelle pas Robin, j’ai assez souffert, alors si vous voulez savoir de quoi sa nouvelle parle, et bien démerdez-vous !
Lisez là.
Tant que vous avez des yeux !
Yoann Laurent-Rouault, directeur littéraire traumatisé par ses auteurs.