Nous ne sommes pas le sexe faible ! Il était une fois, par ALAIN MAUFINET

Bonjour,

On entend dire ici et là que la femme représente le sexe faible. Cela en rassure certains, voire certaines. Honte à ceux, qui le disent et qui le pensent. N’oublions pas l’univers de nos premiers souffles.

Je me permets donc de parler d’un des derniers livre de JDH éditions qui offre onze témoignages de femmes. Surtout, je vous conseille de lire ces textes et d’en parler.

Nous ne sommes pas le sexe faible !

Je ne vais pas vous livrer un ressenti, non. Je vais vous offrir le témoignage d’un ancien. Ces confidences ont un demi-siècle. Ces faits ont presque soixante-dix ans.

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2021

Je découvre un article où un ancien président, Jacques Chirac, rend hommage à l’infirmière Geneviève Galard, « l’ange du camp », et à une dizaine de survivants de Diên Biên Phu. Sur un autre article, le médecin-chef du camp, le docteur Grauwin, indique avoir connu d’autres « anges » dans l’enfer de la mitraille. Il cite les filles des BMC[1] et surtout les Vietnamiennes de la légion. Sans nier qu’elles aient pu prendre les armes, il cite un commissaire politique qui aurait essuyé les tirs d’un commando de femmes. Elles sont aujourd’hui oubliées, rayées des archives.

Alors, un témoignage inonde ma mémoire. J’entends la voix rauque d’un vieil adjudant-chef qui faisait partie des derniers à sauter de nuit sur Diên Biên Phu. Engagé à la fin de la seconde guerre, il avait participé à toutes les expéditions militaires : Indochine, Corée, Afrique du Nord.

1971

Un lourd brouillard habillait la nuit. Je faisais mes premiers pas sous l’uniforme dans un régiment du train, en bordure du camp de Sissonne. En pénétrant dans la bibliothèque du bâtiment des cadres, un adjudant-chef me héla de son fauteuil. La solitude devait lui peser. Dès ses premiers mots, je compris qu’il me transportait en Indochine, dans un avion vers Diên Biên Phu.

1954

Pendant le saut, notre sergent-chef dérivait, craignant de se retrouver chez les Viets. Au sol, il découvrait un groupe de légionnaires et de jeunes femmes épuisés, mais résolus. D’abord des explosions les écrasèrent, puis vint l’assaut, des tirs et des lames déchiraient les chairs. Des combats inhumains s’engagèrent. Ses voisines annamites et ceux de la légion ne cédaient rien. Au loin, des ombres tentaient de se cacher ou de fuir. Les gémissements, les hurlements, les déflagrations ne faisaient pas reculer ces filles, admirables de courage. Le dernier jour, le largage de « lucioles[2] » devaient soutenir les derniers défenseurs qui étaient partout au corps à corps. Les détonations incessantes n’inquiétaient plus personne. Le sang colorait la boue, comme la nuit habillait les corps. Blessés à la tête comme sa voisine, il s’écroula. En reprenant ses esprits, il devait suivre l’Annamite couverte de sang. Elle le tirait par le bras. Il croyait rejoindre l’hôpital de campagne, la souffrance lui ôtait toute réflexion. En rampant dans la fange, et les cadavres, la jungle s’était refermée. Les clameurs s’estompaient. Un Viet avait surgi pour l’embrocher. Il s’écroula, la jeune femme avait été plus rapide. En titubant, il ne suivait qu’une silhouette. Elle lui montra une direction avant de faire demi-tour. Quand ses jambes le portaient, il avançait pour être soigné. Exténué, perdu, il sera sauvé par des maquisards de la tribu Hmong. Partie du Laos, la colonne de secours arrivait trop tard.

1956

Rapatrié en France, il tentera de témoigner de l’engagement admirable des filles Annamites. Ses chefs et ses camarades ne l’écouteront pas. Il devra parcourir les djebels à la place des rizières. Plus tard, personne n’a voulu l’entendre.

1971

L’adjudant-chef répéta dans la bibliothèque :

— Malheur aux vainqueurs qui ont exécuté leurs prisonnières d’une balle dans la nuque. Honte à ceux qui ont délibérément supprimé des archives ces jeunes femmes courageuses. À cause de leurs recrutements et de leurs origines, elles n’étaient pas présentables.

1985/1995

Lorsque les jeunes femmes sont arrivées en nombre dans nos armées, j’ai vu naître ici et là de nombreux sourires de supériorité. Au fil des missions, les comportements devaient évoluer.

2021

« La sécurité est l’affaire de tous et au XXIe siècle nous ne pouvons pas nous priver de 50% des talents de la population », a avancé notre dernier ministre des Armées.

 

Aux lueurs de ce témoignage, de mon expérience et des évolutions, je trouve injuste et intolérable de penser et de dire que la femme n’est pas l’égale de l’homme.

 

[1] Bordels Militaire de Campagne (composés de Françaises, de Maghrébines et d’Annamites).

[2] Fusées éclairantes.