Ancre d’échine

Si vous étiez moi, qu’auriez-vous fait de cette partie de moi que je n’apprécie guère, qu’auriez-vous fait de cette quête perpétuelle de légitimité, de toujours plus de reconnaissance, ce petit quelque chose de naissance.

Si vous étiez moi, auriez-vous osé prendre la plume et jeter l’ancre d’un vaisseau fantôme, dont le seul et unique passager, le capitaine des mots, d’une main désincarnée aurait saisi la votre, pour vous conduire sans détour vers les abysses de l’âme, affronter le calmar géant, descendre dans ce vide sans fond, défier la page blanche de mots simples.

Si vous étiez moi, auriez-vous fait un petit tour du côté de chez Sam, et osé penser qu’il ne fallait pas avoir lu l’ancien testament, ou tout autre roman, pour écrire selon ses propres lois, comme à l’école primaire, une loi des mots simples, directement sur la table, une loi primale des mots comme « ça », aspirer vigoureusement, à devenir son propre roi.

Si vous étiez moi, d’un bras droit souffrant, auriez-vous pris le taureau par les cornes, auriez-vous tenté d’assumer cette constellation, cette filiation, hasard contrôlé d’une destination, auriez-vous lutté pour freiner un « surmoi » absent et omnipotent, contaminé par le freudisme ambiant, condamné à l’introspection, à chercher sans cesse dans l’inspiration, ce qui se joue dans les liens du sang.

Si vous étiez moi, auriez-vous dédié ce texte à La gloire de mon père qui ne m’a rien appris, si ce n’est qu’il ne fallait pas compter sur lui, que tant de libertés dans l’immensité du Château de ma mère me conduirait tout de même à ouvrir les hostilités, à préférer le Kama Soutra aux contes de Perrault, puis Le petit poucet aux poèmes de Rimbaud, mais que malgré tout, des petits cailloux blancs me mèneraient jusqu’ici, tutoyer les étoiles d’une plume un jour avide de poésie.

Si vous étiez « moi », seriez-vous pour autant un clown, le nez rond et rouge, le visage poudré, triste et aveuglé par tant de poudre aux yeux, bleus comme les miens qui pleurent parfois de ne pas toujours vous comprendre.