Au hasard d’une bibliothèque, d’une librairie, d’un salon, prendre un livre en main déclenche une émotion particulière. Mille fois renouvelée, jamais identique, toujours singulière. La couverture, en premier lieu, attire le regard et ouvre un imaginaire, nouveau ou associé à d’autres imaginaires connus. Le titre, immédiatement, interpelle et suscite curiosité, envie d’en savoir plus, ou à l’inverse rejet. Il renvoie souvent à un vaste univers d’éléments bien ancrés dans notre mémoire (titres de livres, de films, de chansons, slogans…). La 4ème de couverture en révèle plus, sans trop en dire, elle joue avec le lecteur, promet sans rien promettre. Dans sa quête de séduire le maximum de lectrices et lecteurs, elle doit assumer le risque potentiel de n’en séduire aucun.
Alors on feuillette, on tourne et on retourne l’objet, on relit plusieurs fois la même phrase, on cherche au plus profond si le nom de l’auteur évoque quelque chose ou pas. L’air de rien, on éprouve son propre désir de s’emparer de ce livre, au contact de cette couverture plus ou moins cartonnée, plus ou moins mate, plus ou moins brillante, plus ou moins colorée, plus ou moins travaillée. On perçoit des choses que la lecture viendra peut-être mettre en défaut. Alors on ose ou on hésite.
Mais bien peu d’indices sont donnés sur ce qui a amené à la conception de cet objet. Sur ce qu’était la chenille-manuscrit avant de devenir le papillon-livre. Sur les états d’âme de celui ou celle qui a noirci ces centaines de pages. Sur son envie de profonde de partager avec le plus grand nombre ses réflexions, ses émotions. Sur ses idées de départ, son manque d’idées, ses espoirs, son enthousiasme, sa solitude, ses doutes, sa technique, sa créativité. Sur son inspiration. Cette reine-inspiration qu’il appelle, espère, apprivoise, maîtrise, perd.
Je me souviens d’une rencontre auteurs à laquelle j’avais participé, organisée par une médiathèque. Sagement installé derrière ma petite table accueillant une pile de mes romans, ravi d’être là, mon plus beau sourire aux lèvres. Une personne s’approche, prend le livre en main. Visiblement elle préfère ne pas parler et concentrer son attention sur l’objet. Peut-être que je n’existe pas pour elle. Seul le livre compte. Elle semble l’évaluer comme on le ferait pour estimer le degré de maturité d’un kilo de tomates avant de l’acheter. Rien dans son attitude ne m’invite à engager la conversation. Je suis pourtant prêt à bondir, à la moindre faille je prendrai l’initiative. Mais rien ne vient. Elle reste fermée à un point que je n’aurais pu imaginer. Elle n’a d’yeux que pour le livre, au fur et à mesure que le temps passe, il devient de plus en plus le sien. Elle le scrute, le scanne, l’étudie, l’inventorie, le dépèce, l’autopsie. Après tout, c’est un produit comme un autre de la société de consommation. Elle me donne l’impression qu’il lui appartient déjà et qu’à la moindre occasion elle n’aura aucun scrupule à le mettre dans une poubelle. Elle ne saura rien des heures passées, diurnes et nocturnes, pour que le rêve prenne forme. Ce n’est pas son sujet. Elle a juste une décision à prendre. Acheter ou pas ce bouquin. Peut-être qu’elle envisage de l’offrir à quelqu’un, cela ferait un sujet de conversation intéressant. Mais je n’en saurai rien, elle garde l’armure, enveloppée d’une épaisse pellicule de glace. Le livre vaut bien plus que l’auteur. Elle l’achète. Quasiment sans un mot. Ne répond pas à mes questions ni à mes marques d’intérêt. Est-elle satisfaite de son achat ? Le mystère reste entier.
J’ai une lectrice de plus.
Je vais continuer d’écrire.
« La couleur des âmes blanches », écrit entre mars et septembre 2020, est une fiction humaniste et voyageuse, abordant la question des origines, du sens de la vie et du destin. Emilie et Arthur, enfants du Vietnam, vous emmèneront sur leurs traces et vous feront découvrir leurs itinéraires de vie.
« La couleur des âmes blanches », publié en juin 2021 dans la collection « Nouvelles Pages » de JDH Editions, est mon 1er roman.