Entretien avec Maryssa Rachel.

Entretien avec Maryssa Rachel.

Maryssa Rachel, bonjour, c’est un véritable plaisir pour moi de faire cette interview pour notre revue L’Édredon, je suis un de vos fans, vous le savez.

Pour vous présenter aux lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, nous dirons seulement qu’en dehors d’être une auteure au talent reconnu, présente sur plusieurs maisons d’édition en plusieurs titres, comme Décousue, journal intime d’une libertine (Éditions 5 Sens), Outrage (Hugo & cie), Le Kama Sutra Lesbien (La Musardine), ou J’ai tangué sur ma vie (JDH Éditions), pour ne citer que cela, d’être chroniqueuse, vidéaste, réalisatrice, photographe et journaliste, artiste et plasticienne qui fait, et je cite mes confrères, « des expositions sur divers thèmes et photographies de personnes en quête d’une réappropriation de leur image », vous allez publier aux Éditions JDH votre première romance de l’été. C’est là le but avoué de notre entretien.

On vous décrit, et je cite encore ceci, glané au hasard du web, comme : « une femme et une mère engagée dans la lutte d’une représentation des autres genres et sexualités dans les médias, qui contribue par son témoignage, son travail et ses interventions à une évolution des esprits et des représentations ».

Tout cela est très sérieux…

Très engagé et impressionnant…

Pourtant, vous êtes une des rares personnes à me faire éclater de rire dans nos échanges.

Un mot sur ce portrait rapide ?

— Oui, j’ajouterais que je fais de superbes tartes aux pommes, que j’adore repasser, je sais super bien bouger mes oreilles aussi ! Mais je voulais revenir sur la phrase entre guillemets, elle est très belle, mais elle ne veut pas dire grand-chose.

J’en suis arrivé à la même conclusion, mais elle est dans l’air du temps, dans le boboïsme ambiant…

— C’est une belle phrase, c’est certain. Cependant, même si je trouve qu’elle ne veut rien dire, c’est vrai, il y a quelque chose d’exact là-dedans qui est que j’essaye, à mon petit niveau, d’aider les gens à s’ouvrir l’esprit. De faire évoluer les mentalités aussi.

Qu’est-ce qui a fait, d’ailleurs, que vous vous soyez intéressée plus particulièrement aux sexualités différentes ?

— La communauté LGBT, je la fréquente réellement depuis que j’ai 28 ans et j’ai lutté à leurs côtés. Puis j’ai aussi vécu avec une personne transsexuelle, et à l’époque, c’était vraiment un combat au quotidien, ce n’était pas comme aujourd’hui. Et ce que j’essaye de faire passer comme message, c’est que la façon de vivre de l’autre, sa sexualité, ses choix ne regardent personne d’autre que lui-même. Il n’est pas utile d’y mettre un jugement.

Maryssa, ma première question sur votre nouvelle parution, ACCOMODER AU SAFRAN, dans la collection Romance Addict de la maison : pourquoi avoir choisi d’écrire une romance soft, et votre lectorat habituel vous attend-il sur ce terrain ?

— En fait, c’est un pari avec une pote. Un cap ou pas cap ! Et avec moi, ça ne pardonne pas. Je suis à la fois une très grande joueuse et une très grande tricheuse. Et j’ai voulu lui montrer que j’étais capable de le faire. Et puis par rapport à mes lecteurs, ou lectrices, je dois avouer que j’aime les surprendre. Je ne veux pas être rangée dans un genre, dans une case littéraire, qu’on me catalogue dans l’érotisme ou l’underground. Mais, avec ce livre, je n’ai pas écrit un arlequin non plus.

Vous avez l’image d’une auteure « trash », et beaucoup de fans pour cela. Quand on lit du Maryssa Rachel, on n’en sort pas indemne, c’est connu. C’est su et je le confirme. Pour ma part, j’ai vraiment été bouleversé par votre livre, J’ai tangué sur ma vie, paru chez JDH Éditions dans la collection Magnitudes. Livre de notre rencontre, d’ailleurs. J’ai trouvé derrière vos mots, une femme que je n’envisageais pas… Quelques mots sur ce texte, que je sais un peu à part pour vous ?

— C’est paradoxal. Ce livre m’a bouleversée autant qu’il m’a fait du bien. À 80 %, c’est l’histoire de mon père. J’avais l’impression d’avoir une présence apaisante à mes côtés… à la différence d’Outrages, où Rose me chuchotait à l’oreille la nuit. Je ne crois pas au surnaturel, c’était juste une impression, j’avais le sentiment que mon père m’accompagnait.

Mais ce livre est pourtant différent de ce que vous écriviez avant, c’est une belle déclaration d’amour. Il est très touchant.

— C’est d’écrire à la première personne et en tant qu’« homme » qui a été le plus difficile. Je ne voulais pas tomber dans le cliché. Et puis j’ai laissé faire mon instinct.

Revenons-en à notre romance de l’été, Accomoder au safran. Dans votre quatrième de couverture, vous posez une question qui m’a interpellé et qui est la suivante : peut-on encore vibrer d’amour après 40 ans ?  Moi qui suis sur la quarantaine bien tassée, qui approche de la pente fatale, je suis un type excessif, moi qui vais bientôt intéresser ces vicelards des examens de la prostate, tout est peut-être trop tard pour moi dans le domaine, alors ?

— Par le biais de la photo, j’ai rencontré beaucoup de femmes mariées depuis x années et j’ai remarqué que quand elles approchaient de la quarantaine, elles en avaient peur. Et autre paradoxe, c’était l’âge pour elles, où elles se sentaient le plus en phase avec elles-mêmes ; par contre, elles avaient toujours cette crainte qui est : j’ai quarante ans et je ne vais peut-être plus plaire comme avant. Il y a aussi le fait que passé la quarantaine, on ne se remet pas facilement des « afters »… Avant quarante ans, on a connu la passion, on a connu l’amour yoyo, on a connu les nuits blanches à s’aimer, à profiter pleinement du corps de l’autre, mais après quarante ans, il y a une vague bulle qui se forme. On a peut-être plus envie de revivre certaines choses, on a fait un peu le tour des passions. On fait le point aussi. Moi je sais que j’étais une très grande passionnée, une très grande infidèle, j’avais envie de croquer la vie à 10 000 % ; là, depuis quelques années, avec ma femme, je vis autre chose, une relation plus posée, sans prise de tête, sans jalousie… Pour les hommes, c’est peut-être différent…

Hommes ou femmes, nous avons tous nos certitudes sur l’amour… nos limites aussi. Mais avoir de la bouteille ne change pas grand-chose au fond. L’amour est là ou pas. Vous êtes d’accord avec cette affirmation ?

— Oui… tout dépend aussi de la façon dont on se sert de l’amour. Quand j’étais plus jeune, j’étais le style de meuf à dire « aime-moi comme je t’aime, protège-moi, tords-moi… » ; aujourd’hui, je n’attends plus rien de l’autre. J’ai juste envie de dire merci, merci d’être là. J’ai d’autres priorités aujourd’hui… je ne veux plus me prendre la tête.

L’infidélité en couple… Où commence-t-elle pour vous ? Et quand atteint-elle le point de non-retour ? Est-elle utile ?

— La fidélité est pour moi un concept inventé, non naturel, pour nous tenir, pour qu’on ne se transforme pas en bonobo ! Je vous laisse imaginer le truc si notre société acceptait le fait que tout le monde soit infidèle, on passerait plus de temps à baiser qu’à travailler ! Pour moi, c’est une connerie. Le seul conseil que je donnerais aux gens infidèles, c’est de fermer leur gueule et de ne pas le dire à l’autre, à leur conjoint. Malgré ce qui se dit, personne n’a envie de savoir qu’il est trompé, et ça ne le regarde pas. Est-elle utile ? Pour rebooster la libido du couple… pour certains peut-être…

Maryssa, dans l’intimité amoureuse, vous êtes du genre raisonnable ou vraiment épicurienne ?

— J’étais hédoniste il n’y a pas encore si longtemps, je multipliais les plaisirs, la bouffe, le sexe, le sexe et le sexe… J’ai fréquenté le milieu libertin, le milieu BDSM à l’époque où ce n’était pas encore à la mode. Quand, hier, une personne m’attirait, c’était avant tout le physique qui comptait ; aujourd’hui, c’est son intellect qui m’intéresse. Il faut que sa tête soit bien faite pour me faire bander. Une fois que l’on a connu l’orgasme cérébral, c’est vachement difficile de revenir à l’orgasme physique.

Martin Veyron, avec L’amour propre, disait qu’il ne se voyait pas dessiner un homme nu, si ce n’était pas lui qu’il représentait. L’héroïne de votre romance vous ressemble-t-elle sur certains points ? Ou plutôt, à quel point vous ressemble-t-elle ?

— Pas du tout, en fait, je ressemble plus aux copines de l’héroïne… sauf sur un point, et c’est là que je peux établir la comparaison : j’ai connu l’ennui en couple et il n’y a pas pire que l’ennui en couple. Quand on n’a plus rien à se dire, qu’on ne se regarde plus, la solitude à deux est pire que la solitude individuelle.

« À mon avis, c’est ça qui déglingue les gens, de ne pas changer de vie assez souvent… » C’est de Bukowsky, et c’est la citation d’entrée sur les pages de garde de votre livre. J’admire Bukowsky, mais comme Cavanna, je pense « qu’il fait chier par moments ! » Pour vous, conter, c’est une folie ordinaire ? 

— Je trouve que le comté, c’est super bon avec du pain et un petit peu de vin. (NdLR : Maryssa est une adepte de ce genre de vannes.) Bukowsky était super malheureux… et quelqu’un de malheureux est négatif. Tout le temps. Comme l’héroïne de mon livre qui, sur ce point, avoue « s’autosouler » toute seule. Oui, je comprends le point de  vue de Cavanna.

Le chihuahua d’un de vos personnages s’appelle Platon. Et Platon fait ses besoins dans le caniveau. Et c’est un méchant chien. C’est un message subliminal par rapport à cette philosophie scolaire et imposée ?

— Pas du tout, j’aimais Platon dans sa caverne, je croyais au mythe de l’androgyne, au fait de trouver sa moitié… J’aurais bien aimé répondre un truc littéraire et me la jouer intello sur cette question, mais pas du tout… J’aime l’idée d’écrire un truc subliminal… Mais non, le chien s’appelle Platon parce que sa maîtresse est prof de philo, c’est tout. Schopenhauer, ça aurait été trop long comme nom !

« À force de trop bouffer d’ennuis, je finis par en faire une indigestion. » Vous écrivez ceci. Croyez-vous que beaucoup d’épouses, de concubines, de petites amies, de fiancées, etc., en sont là ?

— Oui, mais pas que. Des hommes aussi. Pour le coup, on a ici l’égalité parfaite, et la mort du couple, c’est l’ennui.

La question se tourne vers la romance, vers l’idéalisation du couple que sert la romance aux lectrices… Vous n’avez pas peur d’aller à contre-courant avec ce livre ?

— Mais j’espère ! D’ailleurs, mon ambition est d’écrire des romances pour les hommes. J’en ai lu une récemment, c’est puissant un roman d’amour écrit par un homme, plus puissant peut-être que s’il est écrit par une femme… Je vais me faire déchirer par les féministes en disant cela… Ce livre m’a totalement bouleversée. Et je voudrais écrire, trouver un autre nom au genre, car la romance, c’est féminin… Mais écrire des romans d’amour pour les hommes, ce serait génial… Les hommes assument plus leur sensibilité aujourd’hui. Mais oui, j’espère être à contre-courant, c’est pour ça aussi que j’ai choisi une héroïne de plus de quarante ans. Qui est loin de ressembler à un jeune mannequin anorexique, je voulais que la lectrice s’identifie à elle. Pas à une image de type magazine.

« Moi, si j’étais un homme, je serais capitaine, d’un bateau vert et blanc, je te ferais l’amour sur la plage en savourant chaque seconde où mon corps engourdi s’enflamme, jusqu’à s’endormir dans tes bras, mais je suis femme, et quand on est femme, on ne dit pas ces choses-là… » Diane Tell avait tort ?

— Oui, je n’ai pas attendu d’être un homme pour être capitaine. Je suis une femme et je fais ce que je veux. Mais c’est une chanson que je chante dans les karaokés, surtout avec des potes transformistes au micro, ça prend une autre dimension.

Un homme peut-il devenir une cuillère à soupe pour son épouse ? Réellement. Répondez-moi, je l’ai lu dans votre livre. Un homme qui écrirait la même chose aujourd’hui se ferait crucifier en place publique !

— Il y a des propos qu’aujourd’hui des hommes ne peuvent plus tenir, c’est vrai. En même temps, ils ont tellement dit de conneries que ce n’est pas plus mal. Et la soupe, ce n’est pas si mauvais, après tout…

Vous brossez un portrait du couple dans votre texte. Mais, ce tableau, n’est-il pas trop sombre ? Pensez-vous que des lecteurs vont s’identifier au texte et ne croyez-vous pas que vous allez, par ricochet, être indirectement responsable, mais responsable quand même, de ruptures en série ? Vous avez des parts dans un cabinet d’avocat ?

— On a un peu tous les mêmes vies, donc oui, certaines personnes vont s’identifier. Mais je pense que je vais investir dans des cabinets effectivement, car je trouve hyper l’inspiration dans des cabinets. (NdR : encore une !) Et pour moi, ce serait peut-être l’occasion de pouvoir encore plus écrire.

On sort de confinement, beaucoup de couples qui n’avaient pas l’habitude de se voir au quotidien se sont retrouvés ensemble 24 heures sur 24… et peut-être que pour celles qui ne se rendaient pas compte qu’elles s’ennuyaient avant, maintenant, c’est une vérité… Cette romance ne donne -t-elle pas un petit coup de pouce au destin ?

— Si vraiment elles n’aiment plus leurs partenaires, et alors ? Si cela peut leur permettre de retrouver leur Karma… Je ne pousserais jamais un couple à se séparer de toute façon, et je n’ai pas cette influence… mais encore une fois, si on trompe, on ne dit rien… Il faut penser à l’après. Et si on est malheureux, il vaut mieux partir.

Dans mes entretiens avec les auteurs, je ne cherche pas l’explication de texte, seule la thématique du livre m’intéresse. Aussi, je pose cette question sans honte et sans regret : Maryssa, selon vous, qu’attend une femme en amour ? Qu’est-ce qui fera la différence et qu’est-ce qui me permettra de vivre une histoire d’amour démodée, comme vous en employez l’expression dans votre teasing ?

— Il faut déjà que la femme soit pleinement construite. Qu’elle n’attende pas de l’autre qu’elle guérisse ses maux. J’ai remarqué que souvent en amour, on attend beaucoup de l’autre et il ne faut justement rien attendre de l’autre. Qu’elle ne se prenne pas la tête et qu’elle aime une certaine forme de routine auprès de l’autre, avoir de bonnes habitudes… En revanche, la routine ne doit pas devenir ennui… Mais est-ce que ça existe, une relation amoureuse saine ? Et puis il faut se parler. Se dire les choses.

Le public connaît votre engagement, votre spontanéité et vos choix. Je les rassure, on vous retrouve dans ce livre, car ce qui est anodin, ou gentil, pour vous, choque le commun des mortels. Pourtant, j’ai l’impression de voir en vous une femme qui va prendre un virage littéraire. Malgré les succès et l’image forte qu’elle véhicule. Qui encore une fois va ruer dans les brancards, mais là où on ne vous attend pas.

— Je ne sais pas quoi répondre à ça, la question et l’avis me font très plaisir. Comme beaucoup de personnes, je suis très multiple. J’ai un projet en cours, mais… et puis la romance pour hommes… Je ne sais pas, mais j’ai peur de ne pas avoir le temps de tout faire ; dans 15 ans, j’ai soixante ans, ça me fait flipper. Je me dis que je n’aurai pas le temps de tout faire.

Pensez-vous que les hommes et les femmes n’envisagent pas la vieillesse de la même façon ? Que les femmes ont plus peur de la vieillesse ?

— Parce que la société n’avantage pas la vieillesse des femmes, les hommes sont sublimés, les femmes non. Les cheveux gris pour un homme, c’est sexy, pour une femme qui a les cheveux blancs et qui les laisse longs, ça fait limite sale… négligé… Les rides chez un homme, c’est beau, chez les femmes non… En gros, la femme n’a pas le droit de vieillir. J’ai entendu aussi des femmes dire : « je suis ménopausée, je ne sers plus à rien »… Mais pourquoi ?

Cela va devenir une tradition pour les interviews de L’Édredon, la dernière question est libre. Ouverte. Vous parlez de ce que vous voulez, tout ce que je vous demande, c’est un dernier mot pour vos lecteurs.

— Merci de me suivre. Merci de me supporter. De me porter. De m’épauler et de partager. Merci d’être là, merci d’exister, et n’oubliez pas de vivre, parce que dans quelques années, nous serons tous morts. C’était mon mot.

 

Entretiens menés par Yoan Laurent-Rouault, directeur littéraire  et artistique des éditions JDH et rédacteur en chef de la revue littéraire l’Edredon.