Extrait du tome 1 de « La saga Napoléon »

Jeux de pouvoir

 Laetizia et Charles et leurs convergentes complicités vers le « pouvoir » incarné par Marbeuf.

 Le contenu d’une lettre  codée de Laetizia au père Luciano Bonaparte datant du 19 mai 1768, montre que le couple Bonaparte avait déjà, le privilège d’être particulièrement bien informé de  « l’après » du traité de Versailles.  La riche correspondance et les archives liées à la famille de Napoléon, nous apprend aussi que bien que toujours séparés par la distance et la guerre, dès le 8 mai 1768, le presque sexagénaire, mais vert Marbeuf  et l’adulescente Laetizia , complètement tournés vers l’avenir, vers le lendemain de la bataille et l’annexion française programmée de la Corse, échangeaient d’aimables et joyeux  sentiments épistolaires. La guerre, c’est tellement triste et âpre, qu’il faut bien se changer les idées, n’est-ce pas ?

L’abbé Tommaso Nasica, dans son ouvrage paru à Paris en 1852, sous le titre « Mémoires sur la jeunesse et l’enfance de Napoléon Ier, jusqu’à l’âge de vingt-trois ans », précédé d’une notice historique sur son père, dédié à Son Altesse Impériale, y fit même naître une autre  légitimiste et opportune légende, que voici : Charles et Laetizia auraient commencé ensemble leur route de Corte à Ajaccio ce fameux 15 juin 1769. Si Charles était vraiment revenu à Corte, quelle bonne raison avait-il eu de s’en enfuir ? Sinon, cette fuite devient incompréhensible politiquement puisqu’en fait, Charles avait déjà rallié le parti du Royaume de France de Louis XV bien avant l’appareillage anglais de Paoli ce même 15 juin 1769. Une autre légende, tout aussi opportune que celle de l’abbé Tommaso, datant de 1852,  concerne la paroisse de Sainte-Sève proche de Morlaix, visitée par des hommes de main qui recherchaient les registres paroissiaux de baptêmes de la période que vous devinez…

On pourrait aussi accuser les révolutionnaires d’avoir fait brûler les presbytères en 1789, mais ce ne fut pas le cas, les journées du patrimoine et Stéphane Berne  réunis peuvent en témoigner. Cette sombre année de 1852, assassine pour la liberté d’expression, interdisait également la publication de Émile Marco de Saint-Hilaire, un ancien page de l’Empereur. L’écrit relatait  une enquête d’une exceptionnelle densité historique, portant également sur la période de l’affrontement entre Georges Cadoudal et Bonaparte, alors premier consul fraîchement « élu » après le coup d’État du 18 brumaire (an VIII soit le 9 novembre 1799). Revenons un bref instant sur les faits : après avoir signé le traité de Beauregard, Cadoudal refuse le grade de général dans l’armée républicaine qu’on lui propose dans le but d’enterrer définitivement la chouannerie morbihannaise et s’oppose alors vivement au premier consul Napoléon Bonaparte. Fait lieutenant-général et commandant des troupes royales de Bretagne entre deux,  il organise l’attentat de la rue de Saint-Nicaise à Paris, dit  » l’attentat à la machine infernale », contre Bonaparte. L’attentat raté, il fuit en Angleterre, revient 4 ans plus tard, en 1804, pour  organiser un complot visant à capturer ou à tuer le Bonaparte avec une troupe d’hommes armés, tandis que le général Pichegru serait chargé de prendre la tête du gouvernement et de proclamer l’avènement de Louis XVIII. La conspiration est déjouée par la police de Fouché et les conspirateurs sont arrêtés en suivant. Jugé avec le général Moreau, Cadoudal est condamné à mort le 11 juin 1804 et guillotiné à Paris, place de l’Hôtel-de-Ville, le 25 avec onze autres royalistes. Sa famille sera anoblie par Louis XVIII et il sera fait maréchal de France à titre posthume.

Il est à noter que selon le proverbe, c’est ceux qui font l’histoire qui l’écrivent. De tout temps et en tous lieux, les pouvoirs en place ont réécrit l’histoire et plus particulièrement les leurs. Bien évidemment, les diables détacheurs et autres négriers du texte et de l’image passeront par là.

À l’époque il paraissait tant d’incontrôlables « Mémoires » et de biographies de proches ou de déçus de Napoléon, que fatalement, des sociétés de services intervenaient, quand ce n’était pas l’état lui-même, armé de sa police promptement mandatée et diligentée qui s’en inquiétait…

Tout cela pour la convenance d’état, intimement liée au nom, aux origines et au statut en découlant pour le personnage incriminé et chahuté dans son négationnisme posthume, dans sa mémoire immédiate et  dans l’exercice du pouvoir.  Que les ors des palais soient royalistes, impériaux ou républicains, on veille à ce qu’ils ne soient pas ternis. C’est une règle. Et qui n’est pas particulièrement française d’ailleurs. Combien de disgrâce, de vies ruinées et d’assassinats commis au nom du sacro-saint secret d’état, et plus particulièrement dans la période de l’exercice ?

Plus proche de nous, notre vieille, usée, et malmenée  Ve république, est tapissée d’exemples sordides liés aux secrets d’État. De monsieur Mitterrand et ses amours clandestines, de son passé de cagoulard à ses relations complexes avec le pétainisme, de monsieur  de Gaulle et le lourd dossier de la décolonisation, de Madame Pompidou à Monsieur Sarkozy et ses « affaires », de Monsieur Hollande aux véritables raisons du naufrage de la gauche, les exemples ne manquent pas et nous pourrions en composer moult ritournelles qui pourraient être accompagnées de l’accordéon de monsieur Giscard, et peut être même sur un tempo africain, pour ne pas dénoter avec l’ambiance.

Yoann Laurent-Rouault / Docteur L.J Calloc’h