extrait d’un livre sur mesure.

Le livre sur mesure raconte votre histoire. A vos mesures. 

Le vent est presque doucereux en ce milieu d’automne. Il flotte dans les branchages des platanes qui bordent les trottoirs de la Grande rue, plus qu’il ne souffle réellement. La lumière est confuse, comme voilée par une pudeur divine. « Un ciel de circonstance », songe Dominique en levant les yeux.

Cette fin d’après-midi entre chien et loup est paisible. Anodine. Elle tranche d’autant plus avec les événements récents. Quand la mort s’en mêle, tout devient étrange… surréaliste… comme hors du sol. Les choses s’enchaînent sans qu’on ait l’impression de les maîtriser. Les étapes se succèdent. Matériellement. Alors que le sentiment domine pleinement. Et au final, pour Dominique, leur déroulement l’a conduit ici.

Pour l’heure, Dominique est dans le souvenir. Il marque un arrêt sur le seuil avant d’entrer dans la maison de son grand-père. Avant de pousser la lourde porte d’entrée en bois et de la refermer derrière lui. Il confronte ses souvenirs à la réalité de ce qui l’entoure, sans même vraiment le vouloir. Il agit comme s’il était animé par une sorte de réflexe. Une chose est certaine ; aujourd’hui est un jour où se termine une histoire. Où un cycle s’achève. Où la mort bouleverse la hiérarchie des vivants et redistribue les cartes.

Il ne se sent pas vraiment triste. Tout au plus nostalgique. Et la nostalgie a besoin de temps pour s’exprimer. Comme les larmes pour couler.

La grande rue qui traverse ce petit village de l’Aube, la Fontaine des grés, situé à une vingtaine de kilomètres de Troyes, il l’a arpentée quelques fois en compagnie de son père, de son oncle et de son grand-père. Il se rappelle que parfois, elle lui paraissait presque sinistre. Atemporelle. Perdue dans un « ailleurs » qu’il essayait d’envisager. De visiter. De comprendre. Sans bien y parvenir. Ce décor ne ressemblait pas à ce qui faisait sa vie. Aujourd’hui, en ces circonstances, peut-être le voit-il autrement…

Avant, quand il marchait dans cette rue, il observait, dubitatif, l’agencement longiligne qui la caractérise. Il avait l’impression que les maisons avaient été posées par hasard, à droite et à gauche du ruban d’asphalte, sans logique autre que de suivre la route. Sans chercher à créer un hameau. Et la vie qui va avec. Il trouvait l’idée d’implantation étrange. Frontalière. Peut-être même étriquée.

Ces petites maisons dataient pour la plupart, dans leurs constructions, des grandes heures de l’industrie du grand est. Dominique pensait alors que cet urbanisme désuet n’avait pas beaucoup de charme, et qu’au final, il n’aimait pas cette globalité affichée…

Là, il voit l’ensemble d’un autre œil…

Il conclut que ce sont des bâtisses qui témoignent des vies aujourd’hui disparues de centaines d’anonymes. De gens sans grande histoire. Mais de gens qui ont fait vivre ce village. Et que c’est dans cette idée que l’on peut trouver de la beauté à ce paysage fruste. D’ailleurs, la maison de son grand-père était un logement de fonction prêté par l’entreprise où il avait travaillé une bonne partie de sa vie. Dans le secteur de l’industrie textile. Dans ce qu’on appelait « la bonneterie ». Cette maison ne lui appartenait pas. Il l’occupait. En échange de son travail et de son dévouement. Et il l’entretenait en retour.

En levant une dernière fois les yeux, d’où il se trouve, il devine la silhouette du clocher de l’église Sainte Agnès, qui se confond avec le ciel bas de ce crépuscule envoûtant. On dit que les clochers rapprochent les hommes du ciel. Et les rassemblent. C’est peut-être vrai.

Dominique regarde encore quelques instants autour de lui. Il en vient à fixer tristement, la plaque en cuivre jaune du médecin, qui brille timidement aux dernières lueurs du jour. Elle est fixée sur le mur de la maison d’en face, de l’autre côté de la rue. Entre les deux trottoirs, la silhouette de son grand-père lui apparaît en filigrane. Le pauvre homme a été fauché par un motard trop pressé qui ne l’a pas vu traverser la Grande rue. Son grand-père traversait la route pour justement se rendre chez son médecin. Un banal accident de circulation, comme il y en a tant. Une coïncidence malheureuse. Combien de fois, sur des décennies, son grand-père avait-il pourtant traversé cette rue sans encombre ?