Le pingouin censuré.

La liberté d’expression… Nous autres Français nous y sommes très attachés. Et c’est une grande et belle idée, très républicaine  tout comme les notions de  fraternité et d’égalité, ces deux idées prodigieuses enfermées dans deux mots majestueux qui enluminent les frontons de nos mairies. Mais comme il est en général défendu d’afficher  et d’écrire sur les murs et  paradoxalement dans le même temps interdit d’interdire , j’en ai parlé à mon frère, espérant un débat d’idées instructif, mais il n’a pas voulu, car  ça lui est égal, car il n’a pas de mur. Ce qui résout d’ailleurs l’équation puisqu’au final, j’ai parlé dans l’énoncé de fraternité et d’égalité.

Et de mur.

Nous autres, français, aimons « gueuler comme des veaux », manifester, défiler, nous moquer, médire et être gaulois en plus d’être réfractaire. Et avec un tel peuple, on se demande comment fait le gouvernement pour s’exprimer et garder le monopole de l’information comme de la majorité.

Comment font tous ces gens aux postes gras pour faire passer leurs idées?

Parce que si eux s’expriment librement et sans censure, en théorie, sur les principes de la liberté, de la fraternité et de l’ égalité, tout le monde a le droit de le faire et le peuple en particulier.

Mais si tout le monde parle en même temps on ne s’entend plus, disent-ils ! Et république n’est pas synonyme d’anarchie. Les Français ont un papa et c’est le président. C’est lui qui décide des programmes et qui file des devoirs.

Alors on nous demande de nous taire.

Et les gens acceptent de le faire.

Puisqu’ils parlent pour nous.

Le président, le gouvernement et les journaleux.

Mais le problème et c’est là que l’idée va dans le mur, c’est quand eux  disent parler pour nous, en général ils parlent pour eux.

Car leur habitude est de faire la sourde oreille et de pratiquer la langue de bois.

Alors que personne ne peut les censurer… puisque nous sommes dans un pays où la liberté d’expression est chérie et qu’ils parlent pour nous.

Alors qu’ils pourraient dire ce qu’ils pensent vraiment !

Mais non.

Ils s’interdisent de vérité alors qu’il est interdit d’interdire la liberté, donc de s’en prendre à la liberté d’expression.

Pourtant ils collent leurs affiches électorales sur les murs alors qu’il est défendu d’afficher sur les murs.

Vous allez me dire que les affichent ne disent pas la vérité non plus.

Certes.

 

Nous autres Français, en tous cas ceux des temps que ceux qui ont moins de vingt ans de pratique d’errance bohémienne politique ne peuvent pas connaître, nous n’avons plus le droit de poser nus, de respirer sans masques, de sortir faire la fête, de nous taper la cloche, de parler, d’ écrire ou de dessiner sur les sujets qui fâchent, d’envoyer paître toutes ces petites minorités actives qui font voter des lois plus connes les unes que les autres qui nous censure de plus en plus, de rouler sans ceinture, de conduire quoi que ce soit sans permis, de vivre sans assurance, de se faire soigner sans cotiser, de dire merde à son voisin, de mettre une grande claque aux mauvaises odeurs, de fumer dans les transports, de caricaturer des caricatures de croyances, d’aller dans un bordel, de faire de l’auto-stop sur l’autoroute, de prendre une nationale à mobylette, de construire une véranda sans permis, de conduire une Lada sans permis, d’acheter une maison sans s’endetter à vie, de se marier sans divorcer avant ou après, de regarder la télévision sans payer un abonnement mensuel à un opérateur, de voter utile, d’aller à la messe sans communier,  de contester sans finir par approuver, d’être autre chose que  des otages commerciaux, politiques et médicaux, de partager nos microbes, de baiser sans capotes, de travailler sans qualifications et sans passer par la case chômage, de garer sa caravane en bord de mer, de promener son chien sans laisse, de pisser contre un mur où il est d’ailleurs interdit d’afficher, de glander sur un banc public après 18 heures, de mater le cul d’une fille sans finir au tribunal, de mater le cul d’un mec sans passer pour une salope, de voir ses enfants quand bons nous semble sans passer par un juge quand papa et maman s’aiment plus, de vanner un handicapé, un fou, un politique, un curé, un croyant, un élu, un banquier, un juge, un ou une d’une minorité reconnue, de dire « dix petits négres » au libraire pour commander le livre, d’être noir avec les blancs, d’être blanc avec les noirs,  de manger une entrecôte devant un végan, de dire si on aime, de dire si on n’aime pas, de ne pas être modéré en tout et pour tout…

Et j’en passe…

Alors qu’un dessin de presse paru dans le plus grand journal français qui  pourtant n’affiche ni de bites à la Reiser, ni de nichons à la Wolinski et qui n’est pas une scène de cul à la sauce fluide glaciale  soit censuré parce qu’un pingouin en smoking sur la banquise pose une question pertinente sur l’inceste à un autre pingouin, je ne suis pas surpris.

 

Yoann Laurent-Rouault, rédacteur en chef.