Zakouski de caviar au sans plomb.

Avant de juger d’un conflit et de mettre les bons d’un côté et les méchants de l’autre, il faudrait peut-être songer à essayer de comprendre le pourquoi et le comment. Sur les bêta réseau sociaux, on lit l’indignation bien-pensante et peu informée des followers pro-européens, mais quand même anti-ricains pour le style. On se demande dans les foyers à faible tirage pourquoi l’OTAN n’entame pas une charge héroïque contre le méchant gros ours russe. Façon chevauchée des Walkyries. Et on se demande pourquoi le GI moyen ne scande pas « good morniiiiiiiiiing Mooooscou ! » entre deux canettes et deux burgers.

Peut-être parce que cela déclencherait l’apocalypse, c’est-à-dire le feu du ciel et l’affaissement du plafond céleste tant craint par nos ancêtres les gaulois ?

Ou alors, peut-être que cela donnerait lieu à une guerre de position fratricide, à grand renfort de mobilisation générale des petits peuples européens armés et accompagnés du drapeau de la liberté en fond d’écran sur leurs smartphones offert par Apple pour l’occasion. Qui est prêt à vivre un nouveau siège de Poutinegrade? Et qui est prêt à faire la guerre pour défendre cette terre lointaine bourrée de méchants soldats ivre de rage et de vodka et qui peuvent danser la Kalinca sans se casser une jambe ? Qui est prêt à sacrifier travail, famille et crédits pour aller dévier d’un coup de torse puissant les missiles, les balles et les grenades des méchants communistes devenus tout aussi capitalistes que nous en moins de 30 ans ?

Parce qu’elle est verte ma vallée…

Ou alors on pourrait peut-être réfléchir…

Se dire par exemple que l’Ukraine est un grenier et qu’elle possède une force industrielle et énergétique non négligeable et qu’on ne veut pas lui laisser une indépendance sans qu’elle adhère corps et âme à un camp. On pourrait aussi penser que ses formidables ressources libéreraient l’Europe de certaines tractations commerciales pros russes qui se révèlent handicapantes pour elle. On pourrait aussi imaginer que les désastreuses décisions européennes de ces dernières années et son culte de la technocratie à entraîner une faillite généralisée et que la guerre devient alors responsable de biens des mots, comme l’inflation galopante franco-française par exemple. On pourrait aussi croire que les manipulations des masses par les médias dépendants des gouvernements ont conduit les peuples à des choix électoraux téléguidés et que sans leader probant et charismatique, l’Europe n’est qu’un vent de nourrisson dans une pampers…

J’imagine aussi bien volontiers que les armes livrées auront un prix, que les négoces sont en cours et que demain après la victoire, ce ne sera pas si joyeux pour l’Ukraine. La liberté à bon dos. La liberté a toujours eu bon dos. L’autodétermination des peuples aussi. Et parlant de peuple, du haut de mon presque demi-siècle, je fais l’amer constat qu’il n’y en a pas un pour racheter les déviances et les horreurs commises par l’autre. Il suffit d’ouvrir un livre d’histoire pour le voir.

La Russie défend son steak, avec un conflit économique et politique interne. Vaste programme. Qui n’est pas sans m’en rappeler un autre. Elle envoie la troupe, sans fanfares ni trompettes et prouve au monde qu’elle reste une force militaire importante, même si moins facilement mobilisable qu’avant. Même si moins communiste qu’avant. Mais elle veut ce grenier ukrainien. Ce n’est pas qu’idéologique. Peut-être moins que pour cette Europe qui veut intégrer de force le club des trois grands, USA, Chine et Russie et prouver son poids politique et financier avec l’aide de ce conflit. Le vieux rêve utopique des états unis d’Europe que l’Amérique de Benjamin Francklin nous a piqué. D’ailleurs en France, à ce propos, nous avons révolutionné pour rien, on a buté Louis XIV trop tard, c’était du gaspillage… Surtout quand on voit que la Ve république n’a enfanté que des rois. Nos voisins ne sont pas mieux ceci dit. Il y a trop de sortes de fromages en Europe pour se ranger unanimement derrière un burger et une canette de coca.

Alors, je pourrais aussi imaginer que cette Europe « socialiste » forgée dans les années 80 est en bout de course, essoufflée, menacée par des extrêmes droites vindicatives. Des formations politico fascistes qui veulent le retour en force du nationalisme de base, qui ne veulent plus de cette immigration subie, parce que régulée par des instances politiques incompétentes, et qui s’en serve comme d’une grenade offensive. Une droite gangrénée qui prône différence et racisme et qui s’affirme de pensée pro russe. L’amalgame.

Parlant de ça, un autre amalgame est récurrent : la comparaison Hitler/Poutine.

Hitler était un petit caporal, une estafette de tranchée, payé par l’armée après le conflit de 14-18, pour espionner les milieux fascistes allemands. Il tournera sa veste quand il y verra une opportunité de carrière, il grimpera les barreaux de l’échelle un à un et sans gants, il organisera même un putsch et se retrouvera en prison. Le traité de Versailles, la race supérieure, l’antisémitisme, le capitalisme bourgeois, etc. seront ses thèmes favoris. Vous connaissez la suite… Aujourd’hui, tous les historiens s’accordent à dire que son accession au pouvoir était invraisemblable.

Poutine est un ancien Officier du KGB, qui était le service de renseignement de l’URSS de l‘après-Staline (lui est en revanche en tout point comparable à Hitler dans le privé comme dans le politique et le militaire). Poutine est en poste à Dresde  dans l’ancienne RDA en 1989, alors place forte des événements qui ont conduit à la chute du mur de la honte. Il ne commencera sa carrière politique que deux ans plus tard, à la mairie de Saint-Pétersbourg, où il deviendra l’un des plus proches conseillers du président Boris Eltsine, qui fera de lui entre deux vodkas,  le directeur du Service fédéral de sécurité (FSB) en 1998, puis le président du gouvernement de la Russie l’année suivante. Un parcours d’énarque.  Un parcours classique et soigné.  Avec la permission du parrain. Non un parcours basé sur le populisme et l’intimidation violente, comme Hitler.

À partir du 31 décembre 1999, à la suite de la démission de Boris Eltsine, Poutine assure les fonctions de président de la Fédération de Russie. Il devient président de plein exercice le 7 mai 2000, après avoir remporté l’élection présidentielle anticipée du 26 mars dès le premier tour. Poutine correspondait à l’attente et à l’idée que se faisait son peuple de son dirigeant. Sa politique sera réformatrice, la Russie était en crise économique sévère et il poussera l’expansion et l’aménagement de son territoire vers l’est et le sud, un peu comme les USA l’ont fait avec le Middle West en d’autres temps. Il est efficace, les résultats sont là et il est largement réélu en 2004. Nous sommes maintenant 18 ans plus tard, le monde a changé, la Russie compte des milliardaires à la pelle, il y a un Mac Do dans le centre-ville de Moscou, Poutine est devenu un vieux chef politique aux méthodes trop autoritaires pour certains de ses contemporains. Il a manœuvré habilement des fois, grossièrement d’autres fois, pour conserver le pouvoir, d’une façon ou d’une autre. Il choque l’occident par ses prises de position et s’offre avec l’Ukraine une sorte de baroud d’honneur calculé. Je pourrai penser que ce n’est pas l’Ukraine, mais l’Europe qui est visée par la Russie dans ce conflit. Je pourrai croire aussi que le dirigeant russe à des lapins dans son chapeau. Et je pourrai volontiers penser qu’une fois de plus, les peuples européens sont manipulés par leurs dirigeants et sont otages d’une pensée unique cultivée soigneusement jusque dans les écoles.

Mais ce que je pense sincèrement, c’est que les victimes d’une guerre, quelles que soient leurs origines ou leurs nationalités, sont sacrifiées aux dessins de quelques-uns. Je pense aussi que ce n’est pas neuf comme concept et que la combine est bien connue.

Pour conclure, je dirais comme maître Brassens :

Ô vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres

Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas

Mais de grâce, morbleu, laissez vivre les autres

La vie est à peu près leur seul luxe ici-bas

Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente

D’accord, mais de mort lente

 

Yoann Laurent-Rouault.