Extrait Le Pentacle de Vénus

Chapitre II
En Germanie, le jour de la naissance de Rosa, une fille-mère abandonna son enfant près d’une masure où vivait un couple de fermiers. Partant au champ, Clotaire trouva ce nourrisson de sexe féminin. Un garçon lui aurait été utile et sa femme s’en serait occupée avec joie. Gertrude en était à sa troisième fausse couche, aussi le fermier désespérait-il d’avoir un héritier. La famine sévissait. Ainsi, décida-t-il de ne point s’encombrer d’une bouche à nourrir. Il déposa l’enfant dans la porcherie afin qu’elle serve de repas à ses cochons. Quelle ne fut pas sa stupéfaction en constatant quelques jours plus tard que le bébé avait survécu ! Une jeune truie allaitait l’avorton. Clotaire, en paysan, jugea bon de laisser faire la nature. Le temps passa et l’enfant devint une robuste petite fille baptisée Hildegarde par la fermière. Gertrude l’aimait beaucoup, mais son mari s’opposait à toute forme d’affection envers celle qu’il surnommait « la bâtarde ». Il prétendait même qu’elle était le fruit de l’accouplement entre le Diable et une sorcière. Il interdisait à son épouse de la nourrir. La pauvre enfant mangeait à même l’auge des cochons et la porcherie lui tenait lieu de chambre à coucher. C’est à peine s’il tolérait que sa femme lui confectionne quelques vêtements. Malheur à Gertrude s’il la surprenait en train de cajoler la petite ou, pire, de lui donner en cachette une pomme ou un morceau de pain. Le chien de la maison était mieux traité qu’Hildegarde. À peine fut-elle en âge de trotter que Clotaire commença à lui confier diverses tâches. Désormais âgée d’une dizaine d’années, elle prenait part aux travaux des champs, nourrissait les bêtes, puisait l’eau et aidait la fermière pour le ménage et la cuisine. Le paysan la considérait comme corvéable à merci. Gertrude se montrait beaucoup plus souple et aimable avec celle qu’elle considérait secrètement comme sa fille.
Clotaire pénétra dans la cuisine, mécontent.
— La bâtarde, y vont pas se nourrir tout seuls les cochons ! C’est l’heure d’la pitance. Mais t’fais quoi encore ?
— Clotaire, Hildegarde est en train de se tricoter un châle pour cet hiver. Les cochons peuvent bien attendre un peu, non ?
— Gertrude, t’lui apprends à tricoter maintenant ? On aura tout vu ! L’a pas b’soin d’châle, c’te sorcière ! L’a l’Diable au corps. Y sait la réchauffer, t’en fais pas pour elle, va !
— Mais ce n’est qu’une petite fille, Clotaire !
Sans ménagement, le fermier attrapa l’enfant par le bras et désigna un endroit où sa peau était plus foncée.
— Et ça ? C’pas la marque du Diable ? D’la graine de sorcière qu’j’te dis, moi ! Bien bon encore qu’j’y donne de l’ouvrage à c’te bâtarde !
— Mais enfin, c’est juste une tache. Tu vois le mal partout, mon pauvre Clotaire. Laisse, petite, tu finiras plus tard. Va donc nourrir les bêtes avant qu’il ne te batte !