la critique des critiques

Parlez bien haut et fort de ce que vous connaissez mal et vous serez un critique remarquable. Voici la recette pour exercer l’indélicat métier et l’odieuse activité. C’est en tous les cas, celle que je vous conseille. La critique pure, malveillante et haineuse, cassante et pompeuse, est un mal que nombre de créateurs connaissent pour le subir. Souvent gratuite, mais toujours intentionnelle, elle les frappe aux mollets comme la vipère au détour d’un fossé. Elle claque dans l’air comme le fouet du contremaître lacère l’âme de l’ouvrier, elle s’abat sur le créateur comme la misère s’abat sur le pauvre monde.

Peintres avant-gardistes inscrits au salon des refusés et massacrés par l’opinion brumeuse de quelques vendeurs de papiers ou de quelques galeristes affamés ou de quelques académiciens séniles et confortables, musiciens et paroliers sans salles et sans concerts, chanteurs censurés, écrivains maudits encore plus qu’un peintre à l’oreille coupée, cinéastes classés comme pornographe ou vandales du septième art, ingénieurs prodigieux restant coincé sur la chaîne de montage, architectes visionnaires restant à la cave pour dessiner des abris de jardins en sapins, les exemples de martyres des arts sont nombreux. L’histoire de l’art en est emplie.

Mais, la roue tourne et la fête foraine s’agite, et tout à coup, un jour miraculeux, du vivant de l’auteur, du comédien, du peintre, du musicien, la reconnaissance du public arrive. Pour un temps. Et l’homme est alors à demi encensé tandis que sévère, la critique dure et acerbe de l’intelligentsia continue de le frapper avec la régularité du pivert sur le tronc d’arbre. Mais, il est aussi à moitié encensé, car des critiques voulant par méchanceté et égocentrisme se démarquer de leurs collègues, n’hésiteront pas, truites perverties, à remonter le courant de la rivière pour mieux contrarier leurs homologues et ainsi, faire briller leurs écailles poisseuses d’une lumière blafarde qui se voudra « avant-gardiste ».

Puis viendra une autre étape. L’artiste, enfin devenu mort, accédera, son œuvre lui survivant, à ce que l’humain relatif appelle : l’immortalité. Mot claironné sur le seuil des panthéons et qui résonne dans les coupoles où des sages se réunissent ponctuellement pour comparer l’intensité de leurs tremblements et leurs régimes de retraite. Alors, notre artiste, enfin mort devient riche et devient une référence culturelle additionnelle. Il sera le chef de file d’un mouvement, le gourou d’une bande d’adeptes, le fascicule d’une culture prémâchée. La génération suivante des critiques encensera et se servira de ce nouvel immortel, classifié dans les sciences, les genres et les arts, pour descendre les nouveaux venus de ces mêmes arts et genres et sciences, qui n’auront le statut d’artistes et de créateurs géniaux, incontournables et référentiels, que le jour où enfin, quelques-uns parmi eux, accéderont à cet état de demi-dieu, à ce statut de héros grec, et deviendront à leur tour les codes-barres de produits référencés. Et donc seront vendus. Pour l’art, la culture et la patrie.

Mais, en attendant et pour la majorité des artistes, qui sont pris sous le feu nourri des canons de 75 de la critique barbare : le sang coule.

Et la mort est un pansement.

Messieurs dames, oubliez donc de vivre en attendant et surtout de vivre de votre art….

Entendez par ces mots, la mort de l’œuvre, comme la mort physique du créateur, comme la cessation d’activité et donc l’arrêt de jeu.

La disparition.

La fin d’une idée.

La mort d’un concept.

Un mort est toujours plus riche, plus profond, plus sympathique, plus excusable qu’un vivant. Ceci pour un critique, qui comme le veut la tradition, ira de son chapeau au départ de l’artiste. Surtout s’il l’a massacré à longueur de vie. Mais, pour l’auteur contemporain, animé par son métier, galvanisé par sa passion, le critique est une tique, une sangsue, un vautour. La plupart ne pensent pas, qu’ils soient des professionnels reconnus, qu’ils soient de simples influenceurs, blogueurs ou autres parasites numériques, qu’ils s’arrogent ou non titres et diplômes, les critiques de bases sont avant tout : affreux, sales et méchants.

La critique de base, c’est dénigrer l’œuvre. D’y trouver défauts ou approximations, de chercher les totos sur la tête de toto. Expression cavalière et volontaire, car l’allier du critique de base est la bêtise simple d’une analyse idiote.

Mais, puisqu’aujourd’hui tout le monde peut écrire et que le livre n’appartient plus aux éditeurs, mais aux imprimeurs, que le talent est devenu une vague notion absconse et peu nécessaire, que le vocabulaire, comme la représentation et la traduction de l’image font défaut, chacun, à commencer par vous, en passant par moi, est devenu critique, ne serait-ce que sur la page d’un réseau social. En commentant. En likant. Seulement, comment peut-on critiquer sans connaître ? Comment peut-on critiquer sans comprendre ? Comment peut-on critiquer sans aimer ?