Introduction aux illustrations du « capital ».Memoria books.

Le capital… rien que ça… et diffusé à l‘international en plus… rien que le jeu de mots m’amuse…vaste programme monsieur l’éditeur… Et puis, que n’a-t-on pas dessiné sur Karl Marx ? Que n’a-t-on pas écrit, dit, filmé ? En quoi faire la différence ?

L’affaire n’est pas neuve.

On ne peut évidemment pas envisager un tel chantier, et croyez-moi c’en est un,  sans tenir compte de ce qui a été fait sur le sujet, et puisque c’est éditorial, de ce qui se fait aujourd’hui dans le graphisme. Et puis, 81  illustrations pour prés de 1000 pages de texte réparties sur 2 tomes, c’est un minimum et une folie de consommation de café et de cigarettes. Cela représente aussi quelques centaines d’heures de travail, si on compte les doutes, les « ratés », les retouches et les recherches faites en amont.

La réalisation ce n’est rien en comparaison de la recherche d’idées et de l’obsession que provoque le sujet chez « l’artiste ». Heureusement, dans la même collection, et dans le même, temps, au niveau graphique, des contes de Noël, la chèvre d’un certain monsieur Seguin, et les aphorisme et propos d’un certain O.L Barenton, confiseur de son état, m’ont diverti de ce sujet douloureux. Car le capital, c’est sérieux. Et douloureux. C’est une histoire mondiale, pro ou anti, peu importe, c’est des révolutions et des rêves, des dictatures et des utopies, des victimes, des morts et des espoirs. Des grèves, des syndicats et de la politique…c’est tout à la fois.

Mais  c’est surtout aussi une histoire de famille pour moi. Mon père m’avait offert le manifeste du communiste le jour de mes quinze ans et m’avait dit sur un ton neutre : « Je l’ai lu à ton âge. En 1954. C’est ton grand-père qui me l’avait donné. On le lui avait donné dans un bistrot de Rungis, un jour où il livrait aux halles avec son camion. Je n’allais déjà plus à l‘école. Mais je l’ai lu. Entre Paris et Saint-Malo. Dans la cabine du Berlier. À haute voix. Ton grand-père m’avait dit pour tout commentaire  de lecture : « C’est aussi con qu’une bafouille de curé. Ça ne vaut pas la parole de l’autre outil !». Il était un gaulliste de la première heure. « L’autre outil », « l’autre engin », c’était comme ça qu’il appelait le Général. Dans son milieu, il y avait beaucoup de communistes. Il voulait sans doute comprendre pourquoi ils emmerdaient autant les petits patrons comme lui, tous ces « rouges » convertis par un « missel ». Alors, il s’était débrouillé pour récupérer le livre. Et se le faire lire. Mais moi j’avais trouvé ça bien. Ça me parlait. Quelques années plus tard, j’ai lu le capital. Pour en savoir plus. Et puis j’ai vu. J’ai vécu. J’ai même fait la guerre… J’ai eu le temps de me faire mes propres idées. C’est ton tour. »

Je me rappelle  cette scène comme si c’était hier. Et nous sommes maintenant quelque 30 ans plus tard. Et oui, je les ai lues ces « bibles », ces deux-là et bien d’autres. Moi aussi j’ai voulu comprendre. Comme papy, je suis devenu gaulliste, mais à tendance Coluchienne. Comme mon père, j’ai vécu et j’ai vu. À presque 50 ans, je me suis fait mon idée sur le monde et ses pensées. Et un jour, j’offrirai ce livre à mon fils. Comme eux l’ont fait. Pour qu’il comprenne.

Tout ceci pour expliquer qu’une certaine charge émotionnelle s’est ajoutée naturellement au travail graphique. Car, le Marxisme, qu’on le veuille ou non, a marqué nos vies, d’une façon ou d’une autre. Aussi, je me suis dit que la meilleure façon d’illustrer en image  la pensée marxiste, c’était encore de coller à l’histoire. Avec un grand H. De Spinoza à Poutine. En passant par les grands événements liés au communisme mondial. Aussi il fallait choisir « un port ». La Russie restait l’évidence. C’est elle qui a ouvert le bal après tout.

Du point de vue du « métier », j’ai cherché à réinterpréter graphiquement des situations, passant du clavier au feutre et de l‘écran au collage. J’ai voulu, comme je l’avais fait précédemment pour illustrer le 1984     d’Orwell, mêler un graphisme exploité et connu historiquement à quelques visions plus modernes de l’image, tout en jouant sur des cadrages « cinématographiques » de couleurs « web ».

Aussi, trouverez-vous sur les pages blanches de textes de cette édition, les penseurs du communisme et du marxisme, ceux qui ont inspiré Karl Marx, les dirigeants qu’a donné cette pensée politique, les dérives du système, l’Asie, l’Amérique, l’Europe… de décembre 1905 à la chute du mur de Berlin en 89, avec le violoncelle de Mstislav Rostropovitch,  en passant par le Printemps de Prague, soljénitsyne, son archipel, Gargarine et Poutine…

Plus d’un siècle d’images: les purges staliniennes, les grandes famines, Cuba, le feu nucléaire, les orgues de Staline, le siège de Stalingrad, le Che, Mao, Hô Chi Minh… une sacrée promenade dans le temps et une vaste galerie de portraits. Qui existent dans des  idées qui mêlent tant de destins, qui ont fait tant de drames et qui ont généré tant de joies et de souffrances. Dans des pensées qui ont définitivement impacté l’humanité.

Car, enfin, la révolution qu’est-ce que c’est ?

Une révolution, ce n’est qu’un tour de roue de plus pour avancer sur le chemin de l’humanité.

Ni plus ni moins.

Reste aux jeunes et futures générations, le soin de donner le coup de pédale supplémentaire pour peut-être aller positivement plus loin. Car, comme disait le Che : « La révolution, c’est comme une bicyclette : si elle n’avance pas, elle tombe. »

 

Et puis l’art n’est-il pas une autre forme de folie de la pensée ?

N’est-il pas en lui-même, « révolution » ?

 

Yoann Laurent-Rouault.