Le Pacha, de Georges Lautner, par YLR.

 

 

 

Le pacha, de Lautner.

 

« Quand on mettra les cons sur orbite, t’auras pas fini de tourner ! » Réplique du Pacha, écrite par Michel Audiard et servie sur un plateau à Jean Gabin, dit Pépé la valoche, dit Monsieur le maire dit Pépé la sentence.  Pour les intimes.

Je partage avec Michel Audiard l’idée « qu’un homme d’expérience ne devrait jamais s’égarer dans le concret ». Aussi, puisque depuis le perron de l’Elysée, l’autre outil de Garovirus me consigne dans ma piaule et que c’est samedi soir, avec ma grande, et puisque l’engeance est au pageot, on gambille alors joyeusement du côté du septième art. Et je retrouve alors, des frimes amies sur l’écran. Des tontons flingueurs, des faisans et des caves, des dames et des « personnes » courtes vêtues. La crèche ronronne, ma sirène bat des nageoires sur le chesterfield, le cigare parfume la cambuse, bref, l’ambiance est plutôt à la coulante. Et puis, je me suis outillé, j’ai investi dans de l’utile, dans du bonheur bouchonné et cacheté à la cire. À mon âge on commence à avoir l’estomac délicat et le goût bourgeois. Et je ne laisse pas ma part aux anges. Qu’ils se démerdent !

Depuis que la nuit à tiré le rideau, que les zincs sans ailes jouent à Saint Exupéry avec les mérous, que leurs naufrages titanesques est assuré par ces  » Quelques beaux messieurs trop tranquilles » du gouvernement, depuis que le bonheur a foutu le camp avec la caisse et le livreur, avec madame, le week-end, on fait chauffer le tube pour se détendre. Y a plus que ça à faire. Et vu qu’on n’est pas trop portés sur la prière et que le reste ne vous regarde pas, on ne vous donnera pas de détails. « La vie d’une famille française çà se respecte, Monsieur ! »

On pourrait faire résistant, s’organiser en clandé, mais dans notre cambrousse, mis à part la péquenot parade, c’est-à-dire le défilé de jour ininterrompu des tracteurs, moissonneuses, batteuses et autre matériel agricole, y s’passe pas grand-chose. En plus, les dégénérés congénitaux, avec le printemps, y sont en pleine floraison. C’est dangereux de mettre la truffe au vent. On sait jamais ; on est pas tous vacciné qu’y disent à la télé.

Alors, on passe un bout d’la soirée avec Jean Alexis Moncorgé, acteur et fermier de son état, à Bonnefoi.

Dans l’Orne.

Pour ceux qui ne connaissent pas leur géographie et qu’on arrêté les études avant le certificat, l’Orne, c’est en Normandie, bande de fleurs de naves.

Jean Gabin…

Un crack, un as, un cador, ce type là.

Il a bien fait de sortir quelques fois de ses confins herbeux pour faire du cinéma. Moi, ça m’réconforte de voir ses chasses claires et sa crinière blanche à l’écran. Je sais que je vais passer un bon moment. Là, on est sur un polar de Lautner, « Le Pacha », avec André Pousse dans le rôle de « Quinquin », la jolie Dany Carel dans le rôle de « Nathalie » et Robert Dalban dans le rôle de « Gouvion ». Le scénario vaut bien un coup d’cidre et il vaut mieux qu’un coup de pied au cul :

  • L’inspecteur Gouvion est chargé de convoyer une collection de breloques égales en valeur au produit intérieur brut d’une république bananière. Mais un mauvais truand, Marcel Lurat, dit « Quinquin », aidé de ses potes, fait sauter le fourgon blindé au lance-roquette, façon prise d’El Alamein en 43.  Tout se passe bien, les bijoux sont dans le coffre, les flics aux pâquerettes, rien que du bonheur, mais malheureusement, Quinquin est personnel avec la balle. Un défaut, ça !  Alors sitôt le butin emballé et les preuves détruites, il bute ses complices un à un, mais avec une certaine poésie et un certain sens de l’à propos, faut lui reconnaître ça, au Quinquin… Dans son genre, un artiste, quoi ! Mais là où il déconne sec, c’est qu’il refroidit aussi Gouvion, le poteau de Joss, (Gabin), commissaire divisionnaire de son état et à six mois de la retraite. Donc de mauvais poil dans l’attente de rejoindre sa cabane en Dordogne. Pressé d’en finir avec ce métier de con, même pas humain. Entre Joss et Gouvion, c’est une vieille histoire :

–  « Pourtant, c’était un drôle de colis, Albert, crois-moi ! Comme copain d’enfance, c’était pas le grand Meaulnes, fallait se le faire. Il n’a jamais arrêté de m’emmerder. Il a pris son élan à la communale. Comme il avait honte de ses galoches, il fallait que je lui prête mes pompes. Il pétait une chaîne de vélo, fallait que je lui répare. Après, c’était l’algèbre : c’est du cri, j’y comprends rien, qu’il disait. Alors j’étais obligé de me farcir ses problèmes. Parce qu’il a toujours eu des problèmes ce cave, t’entends ? Toujours, toujours ! Et de pire en pire ! Mais, qu’est-ce que tu veux, c’était mon pote ! »

  • Le commissaire Joss ne croit pas à la thèse de l’accident qu’on veut lui vendre et il décide venger la mort de son pote. Il commence alors à balayer dans le mitan parisien et se décide à organiser la Saint-Barthélemy des voyous, avec la complicité de Nathalie, qui veut venger elle aussi son frère (Léon de Lyon) buté par Quinquin également. Elle était aussi accessoirement le casse-croûte de son pote Gouvion. Mais, elle porte pas le deuil. Joss décide le directeur de la police judiciaire, son patron donc,  à le suivre. Et il a des arguments Pépé la sentence :

– « Écoute Paul, moi, le milieu, j’en ai jusque là ! Cela fait quarante ans que le truand me charrie. Je l’ai digéré à toutes les sauces et à toutes les modes : en costard bien taillé et en blouson noir. Ça tue, ça viole, mais ça fait rêver le bourgeois et reluire les bonnes femmes. Elles trouvent peut-être ça romantique, mais moi pas ! Alors, j’ai pris une décision. Moi, les peaux-rouges, je vais plus les envoyer devant les jurés de la Seine, Plus de non-lieu ni de remise de peine : je vais organiser la Saint-Barthélemy du mitan »

  • Joss  sait que son vieux pote, qu’il surnomme Albert, la galoche, le Bonheur des Dames ou  l’empereur des cons, avait le don de s’attirer des emmerdements aussi sûrement qu’un centriste, même en marche, attire l’ennui. Et les virus. D’ailleurs, « deux cons qui marchent vont plus loin que deux intellectuels assis ». C’est connu comme combine. Et Nathalie coûtait cher à Gouvion, qui pour entretenir sa gazelle dans son palais des mille et une nuits, ramassait des cinquièmes semaines non imposables comme il pouvait. Alors il a mordu. Et il a mangé sévère.

– « Le Albert a toujours eu la galipette maudite. Dix fois je l’ai arraché à des volailles incroyables. Mais je croyais tout de même qu’à 60 carats il avait écrasé, et ben je m’étais gouré. »

  • Joss organise  alors, avec l’aide de Nathalie, la rencontre de deux bandes rivales, façon meeting (dont l’une est dirigée par Quinquin) à l’occasion d’un braquage, au prétexte d’un grisbi sans précédent à rafler.

– « Tu sais, quand on cause pognon, à partir d’un certain chiffre, tout le monde écoute ! »

  • Joss ne fera pas dans le détail, les truands tomberont « comme à Stalingrad », Gouvion sera vengé et Quinquin repassé. Et, Joss, portera le deuil de Nathalie. Puis, il gagnera sa cabane en Dordogne.

Ce film est la seule coopération entre Lautner et Gabin. Les deux hommes ne s’étaient pas entendus sur le tournage des « Tontons flingueurs » et le rôle de Gabin, « Monsieur Fernand », devint celui de Ventura. Lautner, alors débutant, ne voulait pas que Jean Gabin lui impose son équipe.  Il n’avait réalisé que quelques films mais il avait déjà ses habitudes. Lorsqu’il tourne le Pacha en 1968, Lautner à 10 ans de métier et plus d’une vingtaine de films à son actif. Depuis « Les tontons » en 1963, « Les barbouzes », « La grande sauterelle »  et « Les bons vivants » ont assuré sa réputation de réalisateur. Les dialogues écrits « au son du stradivarius » par Audiard sont pour Gabin. C’est plus qu’audible. Les deux hommes sortaient d’une brouille assez longue et se retrouvaient, les deux étant « d’exceptionnels champions de la mauvaise foi. »** Le p’tit cycliste « avait mitonné ça aux oignons.»  (**Source : Audiard par Audiard aux éditions René Chateau. » C’est donc une équipe reconstituée, mixte des collaborateurs de Gabin et de Lautner, qui sur une musique incroyable de Serge Gainsbourg (Requiem pour un con), livre au public un polar hors norme, exceptionnellement  violent et résolument moderne pour l’époque.

D’ailleurs, le film sera censuré à sa sortie, puis interdit aux moins de 18 ans. La violence du personnage incarné par Jean Gabin « montrait une image désastreuse de la police », le personnage joué par André Pousse « était d’une ordurerie sans nom », quant à la musique de Maître Gainsbourg, en raison de sa vulgarité, elle sera interdite de diffusion sur les ondes. Cette chanson bénéficiera d’une version remixée en 1991, en version électro et ponctuée de samples des ricanements « odieux » de Serge Gainsbourg. Elle sortira le lendemain de sa mort et sera largement diffusée à la radio, en guise d’hommage. Y a une justice tout d’même !

Bref, suite à mes vapes, vous retrouverez en  haut de page, l’affiche du film, et si il y a un Gabin/Audiard qu’est à voir et à revoir, c’est bien cézigue !

Yoann Laurent-Rouault, scribouillard pour l’Edredon.