À Germaine, la plus belle des étoiles. Par Brigitte Bianco.

Ici, un texte intimiste et émouvant de Brigitte Bianco, auteure Drôles de pages au parcours hors normes, sensible et boulversante, que nous retrouverons dans un roman  au troisième trimestre 2020.

C’était le dix avril 2020, l’année du confinement. Cette année-là les oiseaux chantaient plus fort et plus beau. Ils étaient contents, peinards et libres les oiseaux. Le monde leur fichait enfin la paix. Plus de voiture, plus de pollution et plus de gamins idiots pour leur jeter des pierres. Ils chantaient et moi je chialais comme une conne. C’était un vendredi, la veille du week-end de Pâques et la cloche c’était moi ! Six ans jour pour jour que tu étais partit, ma sœur, ma tant aimée, ma Germaine. Il faisait soleil ce matin-là alors j’avais ouvert en grand toutes les fenêtres de mon appartement. Le chant des moineaux avait envahi mon espace de vie. Ils s’en donnaient à cœur joie les piafs pendant que je pleurais toutes les larmes de mon corps. Les verres de mes lunettes étaient recouverts de gouttes de chagrin. J’en voulais aux volatiles d’être si volubiles. Je me disais qu’ils se foutaient de ma gueule à chanter si joli. J’étais triste et en colère. Je pleurais enfin toutes ces larmes qui n’avaient pas pu sortir à ta cérémonie funèbre. Toutes ces années, elles étaient restées coincées au fond de ma gorge, m’empêchant de dormir, de vivre mais pas d’écrire. Le confinement ne me dérangeait pas. Je vivais confinée depuis de longues années dans ma pathologie, amoureuse de ma solitude. Des années en tête à tête avec mon ordinateur, alors le confinement je le vivais plutôt bien jusqu’à cette date fatidique du dix avril, anniversaire de ta mort. Pour ne plus entendre les oiseaux, j’ai chargé l’album « Ni Dieu ni maître. » de Damien Saez dans le lecteur de CD. Quand il a entonné de sa belle voix grave son titre phare « Germaine », j’ai pleuré de plus belle. Je me suis dit que je devais être un peu masochiste… Quand Patrick m’a téléphoné ce triste matin d’avril 2014 pour m’annoncer que tu t’étais endormie pour ne plus jamais te réveiller, que ton joli cœur avait cessé de battre durant ton sommeil, j’ai hurlé mais je n’ai pas pleuré. Durant toutes ces longues années, j’ai porté ce fardeau sur mes frêles épaules. Je me disais que j’étais une sœur indigne, pas même capable de te pleurer. Je me suis abrutie de cachets mais je ne pouvais pas pleurer. Ça ne voulait pas sortir. J’avais honte. J’étais une mauvaise sœur, une sans-cœur, une ingrate. Durant neuf mois avec ton fils Sébastien, j’ai accompagné Patrick dans sa lutte contre le crabe. C’était le moins que je puisse faire. Il n’a pas fait long feu ton tendre Patou ! La clope a eu sa peau. Je crois qu’il avait baissé les bras depuis longtemps déjà. À quoi bon vivre ? Tu n’étais plus là… Vous vous aimiez tellement. Pendant que je chialais, je le revoyais se taper la tête contre le mur en me disant : « Elle est morte pendant que je dormais. Elle est morte à mes côtés et je n’ai rien senti. Ce matin, je n’ai pas osé la réveiller… Tu te rends compte ? » Je revoyais ta chienne tourner en rond autour de ton fauteuil vide. Je me souviens qu’elle me donnait le tournis. J’en avais mal au cœur. Et Sébastien, le pauvre, lui si fragile, lui qui avait grandit abandonné par son géniteur, Sébastien qui pleurait… Et moi qui ne pleurais pas, moi qui ne pouvait pas. Tout est là bien précis, gravé dans ma mémoire malgré les anxiolytiques dont on me gave. Je me souviens surtout de la belle personne que tu étais, toujours joyeuse malgré ta maladie. Tu étais bipolaire comme maman, comme ton fils, comme moi. Mais tu étais tellement plus que cette pathologie. Tu étais un soleil, Germaine ! Toujours tu me faisais rire. Tu en connaissais des histoires drôles. Lorsque j’étais enfant, tu m’as appris mes premières chansons paillardes. Je te piquais tes « Charlie Hebdo » et plus tard tes fringues. Tu avais la classe, Germaine. Tu savais t’habiller et te maquiller. Qu’est-ce que t’étais jolie ! Mon surnom d’intello de la famille, c’est à toi que je le dois. Tu as toujours crû en moi. Tu disais aux parents : « Vous verrez ! Elle ira loin la petite ! » Toi, tu étais ma grande sœur, mon aînée de quinze ans. Tu m’as toujours encouragée. Je t’avais offert mon recueil de poésies, celui que j’avais autoédité. Tu l’avais même fait lire à ta femme de ménage. C’est cocasse d’imaginer cette brave femme envoyée par ta curatrice, délaissant sa serpillière et son plumeau, pour prendre le petit déjeuner à ta table devant mon recueil. Elle était bien traitée ton employée de maison. Tu lui ménageais sa pause café. Tu passais plus de temps à lui faire la causette qu’à lui donner des instructions. Le ménage, tu t’en balançais. Tu vivais au milieu d’un sacré bazar embrumé de fumée de cigarette. Chez toi, ça sentait bon la nicotine. La clope était ta meilleure amie. Les moralisateurs de la famille te prédisaient un cancer. Tu leur rétorquais, moqueuse : « M’en fout ! Faut bien crever de quelque chose ! » Comme tu as eu raison
d’en profiter jusqu’au bout de ta clope adorée ! C’est tellement injuste de mourir à soixante-deux ans, usée par la vie, les psychiatres et une trentaine de médocs journaliers ! J’en ai tellement voulu aux psys, aux infirmiers et autres docteurs. Il fallait bien des responsables ! Germaine, j’en ai voulu à la terre entière. J’en ai voulu à Dieu. Il avait pris, notre frère et nos parents et il te prenait à ton tour. J’ai même pensé te rejoindre souvent… Germaine, tu n’es plus là et j’en crève. Six ans déjà et je ne guéris pas. J’ai mal de ton absence. Hier, c’était ta fête. Je n’ai pas pu pleurer. Je me suis souvenue du poème que j’avais lu à l’église, un petit texte sans prétention :
Tu es parti vers d’autres cieux,
Tous ici réunis pour te dire adieux,
Nous n’oublierons jamais ton franc-parler,
Tes cigarettes et ton briquet,
Tu rejoins ton frère et tes parents bien-aimés.
Déploie tes ailes, ma petite Germaine !
Ta famille et tes amis t’aiment.

Après la cérémonie, nous sommes tous allés « Chez Marcoux », le bar du village. Tes amis (j’ignorais que tu en avais autant) m’ont dit à quel point mes mots les avaient émus, que l’on ne pouvait t’évoquer sans parler de tes cigarettes et de ton éternel briquet. Je leur ai souri tristement en buvant ma bière. Ensuite, je suis montée dans la voiture de Sébastien pour aller au crématorium de Mont-De-Marsan. Le reste de la famille et quelques amis nous suivaient. Je me sentais vide, épuisée et morte de l’intérieur. Il faisait chaud comme en été. Je portais un jean gris avec un pull fin en cotonnade grise. Mon cœur était de la même couleur que mes vêtements sous ce soleil radieux. Pour la crémation, ton fils avait choisi la chanson de Mickael Miro « L’horloge tourne. ». Dans ton cas elle avait tourné trop vite. Les employés des pompes funèbres nous ont remis une belle urne. Je n’arrivais pas à me dire que c’était toi. Ensuite, nous sommes allés chez Tata. Elle nous avaient préparés à manger. Je me rappelle encore du goût de ses fèves au cumin. C’est bizarre la mémoire. Toi, tu étais en cendres et moi je bouffais des fèves. Je me souviens de notre cousine qui était bien triste. Je n’ai jamais pu oublier ton odeur, Germaine. Tu sentais bon, ma sœur, un effluve de tabac blond mêlé à ton parfum « Eau de Lancôme ». Je t’en avais offert un flacon pour ton anniversaire. Tu me manques tellement. Je t’aime Germaine.

Copyright Brigitte Bianco. Le 16 juin 2020.