Angoisses et incertitudes

Ce n’est pas facile de penser différemment et ça ne l’a jamais été. Ça demande une certaine force de caractère et un certain cran. Contrarier le plus grand nombre, mettre en exergue les dysfonctionnements politiques  et sociaux au nom de la raison et non au nom de l’anarchie, pointer du doigt l’erreur ou le non-sens, tout ceci fait parti des composantes fondatrices  de la personnalité d’un artiste et peu importe le domaine dans lequel il exerce. Le but est non pas de se mettre en avant pour la gloire, mais de dénoncer l’absurde, le dangereux, de prévenir la dérive et de faire évoluer les mentalités. Souvent au nom de la liberté de penser et d’agir. En littérature, s’ajoutent les notions de témoignages et l’idée de traduire par des mots et des émotions, ce que pense ou vit le lecteur. De le rejoindre. Et de partager. De partager et d’être utile.

Dans le monde du livre, beaucoup d’auteurs et d’auteures ont des personnalités sensibles. Personnalités qui vont souvent à contre-courant, qui n’aiment pas le ‘bien-pensant » ni la guimauve. Les plus talentueux sont souvent des écorchés vifs. Des hommes et des femmes qui ne donnent pas les mêmes valeurs à l’existence que l’individu lambda. D’ailleurs, j’ai souvent constaté que certaines approches des écrivains sur des sujets de sociétés sont quasi médiumniques. Comme j’ai souvent constaté que leurs théories s’avéraient sur un plus ou moins long terme.

Dans la période que nous vivons, dramatique s’il en est, angoissante, bourrée d’incertitudes qui dépassent le cadre politique, médical ou social, beaucoup écrivent. Beaucoup avancent des théories. Beaucoup témoignent. Beaucoup essaient d’avoir une voix. De crier. Et tous veulent qu’on les entende.

Toutes les semaines, nous recevons des manuscrits aux tournures plus angoissés les unes que les autres, tous les jours je reçois des messages, tous les jours je vois voler des SOS en escadrilles… et je n’ai pas de réponses à offrir, si ce n’est ma propre vision de la situation. Qui n’est pas rassurante. Comme nous ne pouvons publier sans cesse sur le sujet.

Comme beaucoup, j’ai justement écrit sur ce sujet, préférant dernièrement l’anticipation à l’analyse de la situation, car de mes analyses factuelles passées, je n’ai trouvé aucun réconfort. Je ne vois que le pire poindre. Que l’absurde dominer au quotidien. Et que l’angoisse pousser sous mes fenêtres.

La période que nous allons vivre sera probablement «sanglante », politiquement, socialement et humainement. Depuis plusieurs mois, je vois de mes interlocuteurs habituels se radicaliser, dans un camp ou dans l’autre et dans des proportions épatantes. Je vois la défiance s’installer confortablement et la colère repeindre les murs de toutes les citadelles. Moi-même, j’avoue aujourd’hui supporter difficilement certaines personnes que pourtant par le passé, j’appréciais. À cause de leurs propos. De leur aveuglement. De leur lâcheté. Comme eux doivent m’en vouloir de mes prises de position, de mon entêtement et de ma haine latente pour cette classe politique qui nous gouverne.

Indignité de l’un, dignité de l’autre, confiance de l’un, méfiance de l’autre. Et puis le travail, la vie sociale, la santé, les enfants, l’épargne des ménages, les déplacements, tout s’emmêle et s’entrechoque. L’angoisse encore. L’angoisse d’être résistant. La peur des conséquences. La peur de l’isolement. La peur de demain. Et pour tous l’angoisse de se tromper.

On dit que le bien triomphera toujours du mal. On dit qu’après la pluie vient le beau temps. On dit qu’après la guerre, viendra la paix. Mais est-ce que ces adages sont des vérités ?

J’ai mes convictions, et beaucoup de lecteurs le savent, depuis le début, depuis le premier mot posé sur le sujet, en mars 2020. Elles n’ont pas changé. Je lutte comme je le peux contre l’écrasante machine qui broie les libertés individuelles fondamentales, comme tant d’entre vous. Je m’attends au pire comme tant d’entre vous. Je constate les dégâts, comme tout le monde. Et je sais que ce n’est pas l’action d’un seul homme, mais une conscience collective unifiée qui fera la différence contre la tyrannie. Comme je sais que les arts sont les meilleurs alliés de la réflexion.

Yoann Laurent-Rouault.