Le rouge et le gris par Alain MAUFINET

Le rouge et le gris.

 

J’avais toujours imaginé mon grand-père à mon âge, plus petit, plus mince, mais avec un visage identique, quoique moins ridé. Pour moi, il n’avait jamais changé de physionomie.

Un midi de septembre, je devais découvrir mon illusion. Le bruit sourd de la meule, pierre naturelle en grès située derrière la cloison, résonnait. Elle aiguisait un couteau destiné à trancher le cou d’un palmipède qui attendait les pattes liées, ignorant peut-être sa fin prochaine. C’était une journée comme tant d’autres ; je fouinais simplement dans une grande malle poussiéreuse qui dormait dans un coin de la remise. Les lamelles de plastique qui remplaçaient la porte étaient regroupées et attachées par de fines cordelettes retenues par un crochet. La lumière pénétrait sans contrainte dans mon refuge et donnait un peu de vie à la plupart des outils et des paniers, habitués à l’ombre. Un vent frais et puissant balayait l’entrée. Il soutenait des feuilles qui, habillées de couleurs vives, affrontaient leur seule grande aventure. Elles s’élançaient quelques instants dans les airs. Elles tournoyaient fines et gracieuses. Je ne pouvais pas détacher mon regard des signes mystérieux qui résultaient de leurs courses désordonnées sur un ciel pale. Les volées de ces papillons géants épousaient mes incertitudes. Il me semblait insupportable de penser que le soir venu, ces feuilles se traîneraient sur le sol, sales et misérables. Des sensations de douceur et de tristesse me submergeaient à chaque instant, pour chaque envol. Un cri me fit sursauter. Je compris que le canard ne se dandinerait plus jamais dans la cour. Une feuille rouge sang, aux nervures noires et brunes, se posa en frémissant contre le coffre en bois que je désirais explorer.

_ »La feuille vermeil qui danse à tes pieds, sonne l’heure de la chance. »

Je me tournais surpris vers mon grand-père qui venait de surgir.

_ »Mais non gros bêta, je plaisante…la chance ne sourit qu’à ceux qui ont la volonté de réaliser leurs projets. »

Il saisit un récipient et s’éloigna satisfait de ma surprise et de sa plaisanterie. Je me plongeais alors, avec une ardeur nouvelle dans la malle qui débordait de merveilles pour le gamin que j’étais. Je brassais de vieux chapeaux blancs et gris aux fines voilettes, des jouets en bois et en fer de naguère, de multiples reliques des saisons passées. Une enveloppe bistre, un peu collée contre une des parois, échoua brusquement dans ma main. Je découvris quatre photos légèrement rayées, dissimulées entre de fines feuilles de papier. Elles dépeignaient la jeunesse de mon grand-père. Il apparaissait, figé, presque irréel, mais étrangement jeune. C’est à cet instant que je compris que mon aïeul avait jadis ressemblé à un de ces galopins qui aujourd’hui partageaient mes jeux. Je découvrais soudainement que les ans nous marquent peu à peu et changent notre vie. Je comprenais confusément que tout être n’est pas immortel, que rien n’est immuable. Il me semble avoir posé à mon grand-père toutes ces questions qui obsèdent parfois brutalement un adolescent, sur la vie, la destinée, la vieillesse, la mort…

Pouvait-il vraiment me répondre ? Un grand-père est, me semble-t-il, un peu désorienté, légèrement ému, face à de telles interrogations ?

Il avait dû sourire pour me calmer et écouter patiemment mes angoisses soudaines. Il avait su me réconforter avec ses mots simples et me distraire avec ses anecdotes.

 

Un de mes écrits d’antan. « Un livre sur ma jeunesse qui n’intéressera personne » m’avait affirmé un éditeur Parisien, après avoir parcouru mes lignes. Il avait rajouté : « par contre si vous étiez connu… » J’avais eu la faiblesse de le croire.

 

Mais venez donc vous imprégner dans un coin de mon univers chez JDH éditions.

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