La sécurité…

 

« Ma sécurité commence où s’arrête celle des autres ». Je troque volontairement le mot sécurité avec le mot liberté. J’extrapole pour répondre à l’époque. À la science de mon gouvernement. À l’acquiescement de sa population. À la domination sanitaire. Au bons sens républicain en action.

« Ma sécurité s’arrête où commence celle des autres ».

La formule est moins bien. Elle sonne comme une devise stalinienne. Ou alors, il faut que je rédige un avertissement et que je l’imprime de pair si je veux la diffuser. Comme pour l’alcool, le sucre, le tabac et le reste. Comme pour tout.

Il faut bien penser à se protéger de tous les risques, car on doit vivre. À tout prix. Et on doit absolument vivre vieux. Même mal, même en puzzle, même sous respirateurs, même ruiné ; on doit vivre vieux. C’est un ordre.

Et on doit se faire soigner pour le meilleur et pour le pire.

Ils ont raison sur les chaînes d’informations en continu : les virus, les microbes et les crobes entiers gangrènent le monde d’aujourd’hui, bien plus qu’hier. Même les maladies de l’hiver que nous avons toujours connus ont changé de noms pour devenir grecques. Avant d’être chinoise. Avant d’être créditées aussi par le fonds monétaire international. C’est tout de même un signe que le gouvernement à raison. Une maladie qui change de nom, ce n’est pas anodin !

Ces armées de soldats invisibles à l’œil nu, non diagnostiquées par mon optique center local, défilent au pas de l’oie jusque dans mon poste de télévision. Elles cernent ma maison. Elles sont partout, même sur le visage de mes enfants. C’est horrible.

Je dois écouter le gouvernement. Ils ont raison. Ils nous protègent.

Masquons, scotchons, protégeons, désinfectons, annihilons le risque, votons pour lui, pour notre président, lui qui ose faire la guerre à l’invisible, lui qui sait que les chiffres ne sont pas une science exacte, lui qui a compris que la république n’est pas de taille face aux virus, lui qui ne permet plus aux inconscients, aux rebelles et aux renégats de boire une bière debout dans un bistrot.

Ni de vivre.

Vive lui et vive la mort avant la mort!

Vive la petite avant la grande !

Merci, monsieur l’élu parmi les riens, de prendre autant de précautions pour nous. Nous sommes puériles et stupides, vous avez bien raison de nous punir de temps à autre. Confinez nous, mettez nous des bracelets électroniques, imposez des quarantaines, il faut nous sauver de nous-mêmes !

Mais à quel point vous avez révolutionné nos vies, jusque dans les gestes du quotidien, c’est miraculeux  ! Prodigieux! Fantastique !

La bise à la jolie demoiselle aux joues fraîche comme une fleur ? Fini !

La bise à la jolie femme au parfum envoûtant ? Verboten !

La bise à la cousine ? Interdit !

Le serrage de pognes en règle pour les affaires ? Next !

La bise à Mamie ? Surtout pas !

La vie comme avant : terminares !

Oubliez les amants et les maîtresses, c’est trop dangereux, trop contagieux ! Célibataires achetez une bible selon Saint-Véran ! Elle vous suffira. L’abstinence c’est bien aussi, ça nourrit le fantasme ! Jeunesse : mettez-vous donc au télétravail, passez-vous donc de voyages, de fêtes et de rêves. Vous les remercierez plus tard d’avoir su préserver vos âmes de toutes ces dépravations qu’offrait la vie d’avant.

Regardez donc autour de vous maintenant : quelle salubrité publique que tous ces visages masqués ! Plus de grimaces, plus de sourire, seulement une uniformité fantastique et bienveillante. Des milliers d’hello Kitty sans bouches et sans sourires défilent dans les rues de la ville. Bien sûr, les enfants ont peur parfois et perdent leurs repères.  Mais ce n’est rien, ils finiront eux aussi par oublier leurs propres visages.

Ah, quelle belle époque qu’on vit !

Merci, messieurs et mesdames, du gouvernement, tout cela c’est grâce à vous !

Merci à tous ces gens qui jouent le jeu de ces autres gens qui les gouvernent.

Merci à l’industrie pharmaceutique de distribuer les hosties aux pèlerins que nous sommes !

Je vous reconduirai mon vote de confiance.

A tous !

A ma façon.

Yoann Laurent-Rouault.