C’est 300 euros, m’sieur !

J’ai encore, et ce n’est vraiment pas de ma faute, une raison d’en vouloir à notre gouvernement. Ce n’est pas de l’acharnement, c’est, disons…pratique. Lundi, je me suis perdu dans un labyrinthe banlieusard. De maisons uniformisées en décorations de Noël à la Grinche, je cherchais mon chemin, tout en étant conscient que justement les braves gens n’aiment pas que l’on marche sur d’autres chemins qu’eux. Aussi, me méfiant de la milice comme des miliciens, ne portant pas ma francisque achetée aux puces de Baden-Baden parce qu’oubliée, je confiais alors mon destin aux ricains de chez Apple. Mais, foin de débarquement dans le manche, seulement un réseau moribond sur l’écran blanc de mes emmerdements.

Et tout à coup, alors que comme Dédale, j’errai sans fin, de rues en ruelles, je croise une Ariane. Belle. La trentaine à peine consommée. Toute de laine et de tweed vêtue, charmante sous son bonnet rose encadré de délicats accroche-cœurs bruns. Alain Souchon en aurait immédiatement fait une chanson. Planté devant elle, comme un ours au sortir d’un magasin de miel, ma silhouette massive stoppa nette la belle enfant. Humble campagnard breton perdu à la ville, j’ôtais derechef mon couvre-chef en feutre qui me calfeutrait. Et, en prenant le temps de laisser à la belle jeune femme de se remettre de sa surprise, je lui demandais, en souriant timidement, où ce trouvait cette salope de putain de rue Du Maréchal de la race de sa grand-mère ! Ce à quoi, elle répondit, en souriant, certainement un bon cœur, que cela ne se faisait pas d’aborder les jeunes femmes dans la rue, ne serait-ce que pour se renseigner sur la route à suivre. Interloqué, je lui demandais, en pesant chacun de mes mots, premièrement pourquoi elle composait le 17  sur son smartphone avec ses jolis doigts tout autant agiles que graciles, et pourquoi surtout, cela ne se faisait pas de demander son chemin à une femme.

Voyant qu’elle avait à faire à un naïf peu éduqué et mal informé, elle raccrocha et m’expliqua que je risquais la bagatelle de 300 euros d’amende pour l’avoir importunée dans son traintrain urbain. Elle ajouta, que l’on pouvait s’arranger si j’avais du liquide sur moi, plutôt que d’en référer à la milice. J’osais alors lui demander, brusquement assaillis que j’étais par un souvenir de ma jeunesse militaire, pour quel type de prestation donc, fallait-il que je paye ?

Elle se vexa, sans que je ne comprenne réellement pourquoi et se mit à crier des horreurs, si fort, qu’enfin, d’autres habitants masqués sortirent de leurs tanières et là, après avoir remis en place ma jolie grue couronnée, je pus enfin savoir où était située cette salope de rue Du Maréchal, en menaçant copieusement les autochtones. Évidemment, si je n’avais pas eu ma fausse carte de police sur moi, je ne m’en serai pas si bien sorti.

Moralité : pour demander ton chemin, maintenant que monsieur le président s’en est mêlé avec ses lois sécuritaires, va à la mairie si c’est ouvert, sinon, attends le lendemain, car aucune femme dans la rue tu ne dois importuner. Ensuite, si tu veux faire valoir tes droits, dis que tu es ami avec le pouvoir et qu’en plus, tu travailles pour lui. Pauvre France…

Blague à part, avec ces restrictions supplémentaires dues à quelques abrutis du Code pénal, et sans pour autant nier que moult femmes se sont fait agresser verbalement dans la rue, il y a quand même des limites. Une simple question : j’ai rencontré ma femme dans la rue, pendant une sorte de marché d’art nocturne. Coup de foudre. Nous avons un fils et vivons ensemble depuis 12 ans. Du coup, s’il arrivait une chose similaire à mon fils, et qu’il croisait, là au détour d’une rue, la femme de sa vie comme j’ai jadis croisé sa mère, faudrait-il qu’il renonce et sorte le reste de sa vie équipé d’un paratonnerre ?

Yoann Laurent-Rouault