Baby-foot – Une invitation à l’esthétique par Sir Sami Rliton.

Est-il encore nécessaire de présenter cet auteur, inscrit dans la collection Drôle de pages, dans les collectifs JDH, (Stupeur et Confinements) et qui signe la préface d’un Uppercut incroyablement fort et  d’actualité écrit par le docteur Erbstein et qui a pour titre  : Je ne pouvais pas les laisser mourrir.  ( Ces titres sont disponibles à la vente)

 

Un passement de jambe, un aller-
retour, et bam !
Une pinte à la main, un blaireau passait par là en gueulant « le baby-foot c’est d’la merde ! ».

Au même instant je me délectais de ce but, ce bruit jouissif qui énerve les gars d’en face. Ce charmant garçon était probablement de ceux qui regardent le foot à la télé sans même jamais taper un ballon sur le sable, le cul écrasé dans une serviette Coca-cola. Le baby-
foot c’est la classe, le baby-foot c’est une philosophie. J’aime pas les fiers-à-bras qui jouent la gagne avec des tirs rectilignes simplement efficaces, c’est nul, c’est vide, c’est l’apparence du baby-foot, un jeu d’haltérophile, un jeu inesthétique. Joé allait me sortir de ce vide créatif, de cette compétition sociétale qui rend le monde un peu plus laid chaque jour.

– « Coco enquille ton verre on bouge ! »
Je n’avais pas fini la partie, j’avais plutôt un bon modjo, mais mon whisky-coca m’appelait à quelques pas et j’étais persuadé de reconnaître la blonde au bar.

– « Roule un joint dehors, j’arrive ! »
Je plantai un dernier but et basculai mon whisky-coke en matant le cul d’la blonde. Les gars d’en face étaient contents, je dégageais enfin avec mon jeu arrogant de fluidité, il fallait maintenant pour sortir d’ici se faufiler au milieu d’un tas d’abrutis peu conciliants. Ils sentaient ta présence, entendaient ta formule de politesse malgré les décibels, mais dans un
élan de convivialité vraisemblablement contenu, ne daignaient pas bouger d’un poil. Ils vociféraient dans un langage trivial dégueulasse, gesticulaient comme quelqu’un qui n’a jamais été reconnu par son père et se renversaient leurs breuvages les uns sur les autres en faisant semblant de s’excuser. Forcément tu poussais un peu, ils braillaient comme des
mulets, en général tu t’en foutais, mais des fois toi aussi tu pouvais « hainir ».

C’était rare un bar à peu près cool avec un baby-foot, la plupart du temps tu les trouves dans les PMU qui sentent le pastis et la vie locale résignée. C’est souvent un baby-foot
avec des poignées rondes, pour ma part je préfère les poignées allongées, de celles qui offrent une bonne prise en mains, une prise sans pitié qui envoie la purée.

On avait rien jalonné à « La java des pouliches », des fois c’est chiant, on préfère jouer au baby plutôt que raconter des trucs pourris à une morue qui s’est perdue ici. A la cave on aurait les mains libres. Joé aimait bien y rouler des galoches, moi je regardais, je dansais parfois, j’imprimais mon rythme de toute ma défonce puis je retournais boire. J’aimais pas afficher une drague de balourd en glissant une banalité circonstancielle à l’oreille d’une
conne, ce manque de pudeur est une faculté bien souvent particulière aux mecs plus grands, plus beaux, avec leur goût du succès facile.

Évidemment y avait la queue, évidemment y avait la blonde, évidemment on avait soif. On venait de pisser au square juste à côté, un rituel fondamental pour une bonne entrée en matière. Après une dernière clope nous investissions la meute en rûte motivée coût que coût à investir les lieux. Alertes, fringants en apparence, on avait au moins la patience de la fermer au milieu de toutes ces vaines protestations qui ne faisaient qu’alimenter l’exaspération de Francis.

– « Laissez passer les habitués merci ! »
Et ça gueulait de plus belle, certains n’avaient ici que pour seule vocation la volonté de se griller, inconsciemment ou non ils choisissaient de finir la soirée dehors. Pas nous.
En bas ça se trémoussait allègrement, aussi bien sur la piste que le long du bar déjà inaccessible. En un quart de seconde, un courant irrationnel m’annonçait que cette nuit
n’était pas pour moi, d’emblée je savais que j’allais m’emmerder. Allez savoir pourquoi ? A peine le temps de jauger l’atmosphère que Joé avait déjà négocié une bouteille, il pouvait passer commande dans n’importe quelle configuration et plus vite que tout le monde. Je me disais qu’après un verre j’allais m’éclipser. Néanmoins il ne supporterait pas mon
départ prématuré, je devrais donc attendre le bon moment pour lui poser une quenelle. Au pire il finirait la bouteille avec les potes qui venaient d’arriver, ou alors il la ferait marquer par la barmaid au nom de « Zob ». « Zob » c’est l’expression d’un rituel de clôture avec sentiment d’inachevé, un peu comme dans ces moments où la capote rend l’éjaculation impossible et qu’on dépose les armes.

Pendant ce temps j’étais accoudé au bar, mon whisky-coca ne descendait plus, je voyais la blonde sur la piste se marrer avec un grand brun. Tout près d’eux, Joé gesticulait au cul d’une grande, il avait le visage fendu d’un large sourire. C’était maintenant ou jamais. Ni une ni deux je vidai mon verre dans le sien pour qu’il en ait un tout neuf. En 5 secondes je passais la cabine du DJ, les chiottes, et grimpais l’escalier.

– « Salut Francis, merci. »

Le grand air.
Dénicher une station de vélos.
Éviter de croiser des boulets sur la route du retour.
Images d’un steak haché au frigo dont j’allais faire un burger en rentrant…

Une fois repus sur le canapé, un
peu touché il faut bien l’avouer, ma
raison n’avait que faire de cette
sensation d’avoir les couilles pleines.
Je savais de toute façon que je verrai
Soa le soir même, une étudiante
bretonne déjà bien au fait de ses
appétences malgré son jeune âge.
Avec Soa on irait droit au but. Avec
Soa on fumerait un joint en sirotant un
ti-punch, l’un dans l’autre. On se ferait
du bien mutuellement dans une
harmonie décuplant chaque seconde
de plaisir. Sensuelle et goulue,
délicatement vorace, Soa sait allier
regard et fellation savamment
orchestrée. Chacun de ses gestes
insuffle une nouvelle onde de désir,
leur vision exalte toute sensation
associée dans une justesse divinement
ensorcelante. Avec Soa le plaisir
réciproque est une priorité naturelle,
une évidence rare, un cadeau du ciel.
Une fois qu’elle a tout inondé elle
implore le mélange de nos fluides.
Dans ses ultimes délassements elle
joue encore et toujours de ses yeux,
elle prend alors le temps d’ajuster son
tir dans une esthétique admirablement
maîtrisée. Et de part cette délicieuse
adresse, toute langue dehors, elle
optimise parfaitement sa préférence
pour les poignées allongées, de celles
qui offrent une bonne prise en mains,
une prise sans pitié qui envoie la
purée.

Sir Sami Rliton