La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 concerne la Première République française, qui fut proclamée le 24 juin 1793 et approuvée par un référendum populaire. Cette déclaration fut pourtant suspendue la même année, puis abrogée en 1795 et aujourd’hui, malheureusement dépourvue de valeur juridique, malgré les revendications de la gauche française indépendante sur le sujet. Se voulant plus égalitaire que son aînée de 1789, Rédigée dans l’essentielle par Saint-Just et Hérault de Séchelles, fortement influencés du contrat social de Rousseau, elle diffère en plusieurs points sur celle que la constitution de la Ve république adoptera. Apparaissent alors de nouvelles notions et idées que nous allons détailler en suivant. À noter que pour approuver cette constitution, il fut mis en place le premier référendum français de l’histoire.
« Quand le gouvernement viole les droits du peuple,
l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple,
le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
Le texte de la déclaration de 1793 est connu pour jurer fidélité à la révolution « en tant que telle » et fixer ses préceptes fondamentaux par écrit. Son dernier article, en particulier, cité en caractères gras en tête de ce chapitre, réaffirme le devoir de résistance du peuple à l’oppression éventuelle des élus et fonctionnaires. La constitution limite aussi dans ses articles la durée des mandats. Elle plaide pour un exécutif fort et un juridique « minoré » soumis à la politique. Surtout, et c’est le plus important, une notion de temporalité intervient pour la première fois avec cette formidable remarque : « une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ». Enfin, la mutabilité de la constitution est possible de par la volonté populaire. Bref, cette dernière constitution sert le citoyen dans sa noble définition, bien plus que l’état. Et surtout bien plus que ses élus. Voici une notion qui d’ailleurs retient toute mon attention : l’élu serait alors au service du peuple? Ce ne serait donc pas l’inverse ? Voici une idée qui me bouleverse.
Seulement, le rêve sera court, et au réveil sonnera la « Terreur » qui fera mourir cette généreuse constitution de 1793. Dès le 10 octobre de cette même année, son application sera suspendue. Elle n’aura vécu que deux mois. Même quand Robespierre fut renversé de son trône de paille et de sang, le prodigieux texte citoyen restera au placard, comme failli le rester aussi celui de 1789. Il faudra attendre la Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen du 22 août 1795, approuvée par référendum avec la Constitution de l’an III, pour entrevoir la suite de l’aventure de nos déclarations et préambules constitutionnels.
Au même titre que le reste de la Constitution, la Déclaration de 1793 constitue donc une référence politique pour la gauche française. Souvent réclamée, son application factuelle est une revendication politique régulière. Les gilets jaunes de 2019 & 2020 auraient alors pu en toute légalité, improviser une « garden party » dans les jardins de l’Élysée, si elle était adjointe à notre constitution. Le droit à l’insurrection s’étale sur les articles 27. 33. 34 et 35. L’article le plus cité est le 35e et dernier du texte, que voici : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs« .
Seul le premier projet (non adopté) de la Constitution de 1946, issu des pensées et connaissances des hommes du gouvernement de la libération et du gouvernement provisoire réunis, fait référence à cette déclaration de 1793 dans son préambule. Le passage de l’état français de Pétain dans l’histoire nationale aurait pourtant dû convaincre les plus rétifs sur le sujet, d’appliquer les quatre articles pour un avenir meilleur et une sauvegarde de la démocratie. La Constitution de la Ve République, comme vous le savez, et pour notre grand dam, ne fait référence ni à la déclaration de 1793, ni à celle de 1795, mais uniquement à celle de 1789. Le texte de 1793 ne fait donc pas partie du bloc de constitutionnalité et n’a, sous la Ve République, aucune valeur juridique. Mais, la tentative de 1946 aura au moins eu le mérite de relancer le débat. La mémoire politique du peuple français passant pour être équivalente à celle d’un gallinacé, toutes les piqûres de rappel semblent bienvenues…et celle-ci plus encore qu’une autre.
L’égalité, la sûreté et la propriété.
L’égalité apparaît comme le premier droit naturel de l’homme dans la Déclaration de 1793. Ce qui signifie, si on y réfléchit d’un point vu philosophique et légaliste, que l’égalité de naissance, enfin débarrassée de ses notions sociales et religieuses qui l’accompagnait jusqu’ici, est non seulement un droit civil, garantit par la constitution, mais aussi un droit naturel. Inné. Aussi certain que d’avoir celui d’exister. L’article 3 énonce que « Tous les hommes sont égaux par nature et devant la loi ». L’injustice aurait alors vécu.
Mais déjà, à l’époque de cette rédaction ambitieuse, les objections étaient nombreuses…
Certains détracteurs du texte argumentaient sur le fait que si l’État se contente de faire respecter la liberté, et de proclamer l’égalité naturelle, à terme la liberté aura raison de l’égalité sociale. Sous entendu que liberté et égalité peuvent devenir contradictoires quand on les constitutionnalise. On avance alors comme argument principal que la liberté ne résout pas les inégalités sociales. Puisque les inégalités dites naturelles peuvent creuser le fossé entre ces deux mêmes notions. Citons le handicap physique par exemple, puisqu’il est mentionné dans la déclaration de 1793.
Toutes les inégalités naturelles ne peuvent être considérées comme des injustices, sinon, il faudrait renvoyer l’ascenseur au créateur. On en revient là aussi à la notion philosophique de talent naturel et de « prédisposition », évoqué succinctement dans la déclaration de 1789 en son article 6.
Ainsi, devant l’inégalité naturelle, l’article 21 de la déclaration de 1793 « proclame le droit de tout citoyen à l’assistance publique ». Ce qui sera censé résoudre en partie la notion vague « d’inégalité ». Et cela nous conduira à terme, à la dangereuse et asservissante notion « d’état providence ». Au pouvoir dit « paternaliste ». Le schéma intellectuel, même retourné dans tout les sens, implique que l’état devient omniprésent dans la vie du citoyen pour répondre au texte, et quelque part, si vous me permettez le parallèle, remplace en présence l’église de l’ancien régime pour le citoyen. Certes, la prière et la liturgie diffèrent, mais la présence d’une « institution supérieure et souveraine » reste égale dans la pratique. Nous le vérifions quotidiennement. Le citoyen français est aujourd’hui, selon certains sociologues et observateurs politiques, revenu en condition de servage féodal. De la naissance à la mort, l’individu, dûment immatriculé et éduqué, résidant de la république et des territoires français, sera totalement soumis au fonctionnement social imposé par l’état. D’année en année, la liberté individuelle se restreint à la manœuvre. La liberté d’éducation et d’instruction, aujourd’hui compromise par les dernières lois du pouvoir en place à la date où j’écris ces lignes, comme l’ensemble des apprentissages, sont soumis au contrôle de l’état. Ils doivent être impérativement brevetés, taxés et estampillés « RF » pour avoir une quelconque valeur reconnue dans le monde du travail. La liberté d’entreprendre, âprement défendue dans le texte de la constitution de 1793, est aujourd’hui soumise à des réglementations drastiques, tant économiques que légales, qui font qu’elle devient elle aussi relativement illusoire. La liberté de propriété, soumise à une fiscalité dévorante allant de l’acquisition aux droits de succession, du vivant à la mort de l’individu donc, et remettant en cause la notion même de patrimoine transmissible, devient elle aussi assez abstraite et totalement dépendante des moyens financiers de chacun comme des dictats des marchés, comme de l’approbation de l’état. Quant au droit au travail de chaque citoyen, là, il est préférable de ne pas s’étendre, afin de garder une certaine élégance.
En 1793, la réponse de l’état au citoyen pour réduire l’inégalité sociale passait par la garantie du droit à la propriété du citoyen, donc par son droit au travail, pour justement acquérir cette propriété. « Le bonheur commun » était le but fixé par la déclaration de 1793. Le bonheur commun était l’appellation du programme révolutionnaire. Mais tout comme dans la chanson du « gorille » de Brassens, écrite 159 ans plus tard, la suite prouva que non.
Yoann Laurent-Rouault