L’incroyable histoire du facteur Cheval. De Nils Tavernier.
Le Facteur Cheval est avare de mots. Il est une petite flamme de lampe à pétrole, prisonnière opaline de son tube de verre, vacillant sans cesse, lumineuse seulement par instant, mais qui ne s’éteint jamais. Sa gestuelle syncopée, sa démarche fragile et volontaire à la fois, sa silhouette brindille et son regard venu d’ailleurs, tout contribue à une séance d’hypnose cinématographique.
Au cœur des collines du village de Hauterives, dans la Drôme, se dresse une des œuvres d’art des plus insolites du XXe siècle. Un monument de l’art naïf, qu’André Malraux fera classer au patrimoine historique français dans les années soixante.
C’est un lieu féerique, tout droit sorti du songe « inspiré par le vent dans les branches d’arbres et les oiseaux ». Le film de Tavernier raconte l’histoire de vie d’un brave facteur de la fin du XIXe siècle, qui parcourra pour sa tournée trente-deux kilomètres par jour à travers la campagne, pendant plus de trente ans, faisant ainsi l’équivalent de cinq fois le tour de la terre à pied. Histoire de vie qui se perdra dans un rêve qui deviendra réalité.
De près de 30 mètres de long et de 12 mètres de hauteur, le palais du facteur cheval reçoit aujourd’hui plus de 150 000 visiteurs par an. Considéré pendant longtemps comme l’œuvre d’un doux dingue, il deviendra un chef-d’œuvre reconnu, qui vaudra à son auteur totalement autodidacte, le titre d’architecte dans les livres d’histoire de l’art.
Le Palais idéal de Ferdinand Cheval se construira sur une période de trente-trois ans, il s’inspirera des cartes postales qu’il collectionne, mais il est tout autant passionné par le voyage intérieur et amoureux des étoiles et des légendes d’orient. Ferdinand Cheval mêlera avec bonheur les styles hindous, grecs, africains ou celtes à son imagination débordante.
Le film relate l’histoire vraie de cet homme qui fait une chute d’un chemin haut et tombe sur une pierre triangulaire qui lui inspire quelque chose. Quelque chose de fort. Quelque chose qui a un rapport direct avec sa fille, Alice, son grand amour, qui n’a pas deux ans à cette époque.
La mort de son enfant, 15 ans plus tard, ne fera pas taire sa folie. Les terrasses, les grottes, les tours, les sculptures, les escaliers se succèdent avec le temps. Le palais se bâtit au rythme de sa vie, au rythme des naissances et des départs autour de lui. Puis, l’histoire du palais idéal achevé, il en viendra à la construction de son propre tombeau sur une période de huit ans. Il décédera en 1924, à l’âge de 88 ans. Philomène sa femme, la mère d’Alice, décédera en 1914. Le laissant malgré tout riche et serein de tout cet amour qu’elle lui a donné.
Le film a défilé sur l’écran, une heure et quarante minutes de temps suspendu, volé à la nuit. Et la silhouette maigre du facteur Cheval en uniforme me reste en mémoire dans les heures qui suivent. Jacques Gamblin interprète le rôle sous un angle inattendu, sous l’œil complice de Nils Tavernier. Ils ont pris le parti de présenter le facteur Cheval comme un homme atteint par un trouble psychologique. Par une certaine forme d’autisme. Ils se sont basés sur les travaux d’un psychiatre qui a œuvré sur le sujet et sur une documentation importante.
La photographie du film est superbe, je marche au côté du facteur. Elle est presque chaste, mais pourtant intime. Laetitia Casta, dans une scène , est un « nu à la toilette » d’une beauté académique. Elle sublime la pellicule à chaque apparition, mêlant une sincérité désarmante à un éternel féminin troublant de réalisme.
J’ai voyagé dans les galeries des palais des beaux-arts de ma jeunesse avec elle. J’ai revu des toiles de Manet, de Courbet, de De La Tour, des clairs obscurs bouleversants, la narration absolue de touches de couleurs inspirées… les plans successifs sur elle que fait une caméra que je devine amoureuse, sont terriblement efficaces.
Au visionnage de ce film, j’ai retrouvé des sentiments et des impressions enfouis en moi depuis bien longtemps. Des souvenirs « champêtres », des photographies en noir blanc de mes grands-parents et de ma prime jeunesse. Des clichés de mon grand père Victor en particulier, facteur lui aussi, qui comme Ferdinand Cheval, faisait ses tournées à pieds dans le bocage normand, une grande besace en cuir sur l’épaule. J’ai retrouvé ses gestes simples et heureux, quand par exemple Gamblin pèle une pomme impeccablement sans la regarder, tout en marchant à grands pas sur un mauvais chemin. J’ai retrouvé en l’acteur la façon qu’avait le bonhomme de sourire à l’agitation autour de lui et qui n’était pas la sienne.
J’ai revu les yeux de ma grand-mère à travers ceux de Laetitia Casta, quand comme son personnage, elle regardait par la fenêtre de la chambre, son homme qui travaillait « au bois » dans la cour de la ferme.
J’ai retrouvé l’ambiance de ces pièces où rien n’est inutile, où la cheminée est le seul écran, où le temps n’est pas devenu un assassin. J’aimerais revivre une de ces journées d’enfance. Assis sous le grand chêne. Et pouvoir les regarder une dernière fois.
Le décor du film est extraordinaire d’authenticité. L’ambiance est incroyable. Dans cette œuvre, même les drames sont chastes. Simples. Acceptés. Une grande leçon d’humilité. Et d’humanité. Philosophie et poésie se mêlent à l’histoire magnifiquement. Sans religiosité, sans désespoir ni miséricorde, sans grains de chapelet autour du cou, sans cocarde, sans moteurs, sans modernité affichée, seulement une histoire, une belle histoire à la Paolo Coelho, à la Jean Becker, seulement un voyage vers le sentiment.
La sincérité est toujours bouleversante, non ?
Jacques Gamblin m’avait impressionné dans « Les enfants du marais » et dans « Au cœur du mensonge », mais là, il m’a littéralement bluffé. Son jeu est impressionnant.
Quant à Laetitia Casta, de « La bicyclette bleue » à la vie d’Arletty, en passant par La vie héroïque de Gainsbourg ou encore La jeune fille et les loups, j’ai toujours été agréablement surpris. Son jeu, sincère, proche de celui de l’inoubliable Romy, sa force tranquille, sa féminité maternelle, tout en elle, dans ce film, la rend inoubliable.
La distribution autour des rôles titres est parfaite, de Natacha Lindinger à Florence Thomassin en passant par Bernard Lecoq. Lecoq en vieux receveur des Postes paternaliste est très efficace.
Un film que l’équipe éditoriale de l’Édredon et moi-même nous vous recommandons pour un bon moment de cinéma et une belle leçon de vie. Puissions-nous, comme le Ferdinand Cheval, trouver en nous la force et le talent d’accomplir nos rêves.
YLR.