Séparés…par tests PCR, par Carlo Sibille Lumia

Un nouvel article de notre chroniqueur judiciaire et journaliste.

Séparés…par tests PCR, par Carlo Sibille Lumia

En Moselle — comme du côté de chez nos voisins alsaciens — nous entretenons depuis toujours une relation passionnelle, parfois tumultueuse avec l’Allemagne. L’idée de cette prise de parole n’est pas de refaire l’Histoire, mais de parler du présent… et de l’avenir, plus que jamais incertain. La crise sanitaire a rappelé de bien mauvais souvenirs aux habitants de notre bassin de vie Est-Mosellan (commun avec les « Länder » de la Sarre et de Rhénanie-Palatinat), les décisions ET déclarations des élus entraînant la naissance de sentiments nationalistes des deux côtés de la frontière… « Chaque Français rejeté signifie un peu plus de sécurité pour les Sarrois », avait-on notamment pu entendre. Relatée par la ZDF et attribuée au ministre de l’Intérieur du Land de Sarre Klaus Bouillon (fervent partisan de la fermeture des frontières), cette phrase avait définitivement mis le feu aux poudres. Et l’amitié franco-allemande commencée à le prendre, le bouillon ! Surtout sur les réseaux sociaux, il faut bien l’avouer…Car dans la réalité des faits, sur le terrain, bon nombre d’actions positives ont également été effectuées des deux côtés mais beaucoup moins relayées. Bien que, certains malheureux épisodes commis par quelques imbéciles isolés se soient bien produits : voitures françaises détériorées sur les parkings des magasins allemands ; insultes, humiliations, renvois, subis par les travailleurs frontaliers sur leur lieu de travail… Des actes isolés, fort heureusement !

Il faut dire qu’ici, de simples ponts ou passerelles séparent l’Allemagne et la France : les habitants partagent études, emplois, familles, sport, culture et langage… La plupart des seniors parlant le Platt, véritable témoin de ce brassage entre deux cultures.

Si bien qu’à peine un an plus tard, on pensait déjà bien lointain le premier confinement. Lointaine, la fermeture des frontières intervenue en 2020, et contre laquelle les élus locaux avaient bataillé pour obtenir de Berlin et Paris que les barricades soient détruites. Tous s’étaient alors réunis de façon symbolique devant ces dernières, à coups de « Pour que cela ne se reproduise plus jamais ! »

Seulement, en ce début d’année 2021, de l’eau semble avoir coulé sous les ponts qui séparent la France et l’Allemagne puisque Berlin a décidé semaines d’un nouveau durcissement des mesures aux frontières — classant notre département en zone à risque maximal (niveau 3) : pour se rendre sur le sol allemand depuis la Moselle, il faut fournir un test PCR ou antigénique négatif de moins de 48 heures ainsi qu’une attestation électronique d’entrée. Y compris pour les étudiants et les travailleurs frontaliers (ces derniers étant au nombre de 18 000 !)

Cette fermeture déguisée pose un certain nombre de problèmes : les pharmacies sont prises d’assaut, tout comme les centres de dépistage… Sans parler des infirmières libérales qui, ne souhaitant pas « lâcher » leurs patients, acceptent même des rendez-vous sur leurs jours de congés… Ou le dimanche soir, « pour qu’ils puissent retourner au travail le lundi ! On marche sur la tête !, témoigne Aurore, infirmière libérale de 30 ans. Sans compter que ces tests — qui découlent d’une mesure prise par l’Allemagne — sont entièrement pris en charge par la sécurité sociale… »

A la fin, c’est toujours la France qui… paye !

Et les manifestations récurrentes des travailleurs frontaliers n’y font rien : ces derniers sont contraints de continuer à se faire dépister pour aller travailler ; l’Allemagne allant même jusqu’à étendre la « zone à risque » à l’ensemble de la France il y a quelques jours.

Encore aurait-il mieux valu ériger de nouvelles barricades, bafouant toujours un peu plus cinquante années d’amitié franco-allemande…

Tout en gardant à l’esprit cette réflexion d’un psychologue allemand installé du côté français de la frontière depuis plusieurs décennies : « Il faut travailler sur soi-même pour attacher les événements à quelque chose, quelqu’un, de concret et pas à des mots comme Français ou Allemand. Le nationalisme se structure en effet par la langue depuis des décennies. En tant qu’être humain, nous avons la possibilité de réfléchir à qui est responsable. Et sans vouloir juger les mesures, c’est Berlin qui est le principal responsable dans cette situation, pas les frontaliers allemands ou français. »

Ou encore ces quelques mots inscrits sur une pancarte par l’un des frontaliers à l’occasion d’une manifestation pour « l’abolition de ces tests » : « Nous ne pouvons pas être séparés, pas même par des tests PCR ! »