Dans le silence de l’histoire

Dans le silence de son histoire se terre, aveugle, sourd et muet, le vacarme de sa fuite.

Ses yeux ne veulent plus voir la béance du trou noir.

Cécité de frayeur, des corps décharnés. La lune s’est obscurcie. Le soleil se bande les yeux. L’eau des nuages n’est pas transparente. Le ciel a déserté les couleurs chaudes d’un temps clément.

Ses oreilles ne veulent plus entendre le sifflement des bombes, les cris qui hurlent l’horreur. Les oiseaux se sont figés dans l’air noirci par la laideur des hommes.

Surdité du corps et de l’esprit.

Mots tus. Mots fuselés. Mots impossibles.

Mutisme. Les lettres se disloquent, s’évaporent et se perdent. Elles fuguent pour rester encapsulées là où l’événement s’est produit, gelé dans les ténèbres de sa mémoire, en désordre.

Une mémoire qui cherche à oublier.

Une mémoire qui emprunte une gomme qui ne fonctionne plus.

Ses crises de nerfs racontent l’innommable, dénoncent l’incompréhensible.

Encore jeune, la maladie de ses silences l’emportera rejoindre les siens enterrés quelque part là-haut, mais assurément mêlée à la terre de ses ancêtres.

Peut-être a-t-elle trouvé une paix. Elle peut maintenant dormir …

Dans le silence de la transmission, la gangrène se balade.

Ses filles assistent impuissantes au désastre de sa vie.

Ecumoires de son histoire, elles récupèrent la boue d’une eau salie.

Pâteuse, elle se colle à leur peau. Les pores l’aspirent. Elle se fraie un chemin, doucement, lentement, décidée, déterminée.

Le silence de cette femme emprunte les étages suivants. Il bourdonne. Il refuse de se taire.

Dans le silence des chapitres, le corps n’a encore pas dit son dernier mot. Il se transforme en cacophonie dans les entrailles d’une des petites-filles qui entend, qui voit mais ne comprend pas.

Au même âge de sa grand-mère, son corps héritera de la même tumeur. Elle n’en mourra pas. Le travail thérapeutique avait, entre temps, dépoussiéré les recoins d’une tragédie qui l’empêchait de bien respirer, les fantômes de cette histoire qui les reliait. Elle a laissé à la porte les traces de cette culpabilité qui appartient finalement à cette femme de s’être retrouvée survivante.

Elle a décoloré le vêtement qui avait habillé l’humeur mélancolique de sa grand-mère.

Elle bifurque du chemin traumatique pour écrire à la marge.

Dans le secret de toute histoire se terre, aveugle, sourd et muet, le vacarme de chaque fuite.

Dans le secret de certains chapitres, le corps ne révèle jamais son dernier mot

Dans le secret de la transmission, la gangrène se balade toujours.

Jusqu’au jour où …

La lumière reprend son droit, et la parole s’autorise à lever la chape du silence du secret.

Dévoilement. Soulagement.

La vie se poursuit avec tout ça, et fait le reste …