Extrait de Cendrillon du trottoir.

Extrait de Cendrillon du trottoir :
Voici le début du chapitre 5, La descente aux enfers :
L’HOMME VIENT DE SORTIR, JE RESTE ETENDUE LES YEUX DANS LE VAGUE. J’ai le temps. Le prochain n’arrivera pas avant une demi-heure. Je fouille dans mon sac à la recherche de mon paquet de cigarettes. J’allume une blonde. J’aspire une longue bouffée tout en me perdant dans la contemplation du papier peint défraîchi. Cette chambre est atrocement vilaine, tout comme le type qui vient de partir. Je déteste les hôtels du quartier de la gare. Ça sent le rance, le vieux… Mais, plus que tout, plus que cet endroit, plus que les clients, c’est moi que je hais. Pitoyable, je suis pitoyable, faible et influençable. Lionel me manipule et je le laisse faire. Depuis ma sortie de clinique, je n’ai pas la force. J’obéis. Tout ce qui m’importe, c’est d’avoir suffisamment de cigarettes et ma dose quotidienne de cannabis, mon calmant. Lionel m’a dit que si je le voulais, je devais venir ici.

            Il a tout planifié, tout de A à Z : la petite annonce dans le journal – « Belle jeune femme libérée recherche hommes généreux pour moments agréables. Discrétion assurée. Téléphoner au… » -, les tenues provocantes et les chaussures aux talons aiguilles vertigineux, la prise des rendez-vous. Comme je ne conduis pas, c’est lui qui me dépose en ville et qui vient me récupérer en fin de journée.

            Il y a un terme pour ce que fait Lionel, un mot que je n’ose prononcer… Inutile de se voiler la face : mon prince charmant est un maquereau. Je soupire tout en me dirigeant vers le cabinet de toilette. J’hésite à me laver dans un bidet à la propreté douteuse. Je pense à ce qu’il m’a dit, que ce n’était qu’une situation provisoire, en attendant que les choses s’arrangent. Il m’a fait très peur en me disant que si l’on continuait ainsi on ne pourrait plus payer notre loyer, ni nos factures, ni faire de courses. Alors des assistantes sociales se mêleraient de notre vie et voudraient nous enlever Lucas. Lionel dit qu’il est fier de moi, car tout ce que je fais, c’est pour notre fils, pour qu’il ne manque de rien. Il dit que je n’ai pas à en rougir, que ce n’est pas honteux, que je suis une bonne mère. Pourquoi ai-je des difficultés à prendre Lucas dans mes bras désormais ? Pourquoi dois-je systématiquement me laver jusqu’à m’user la peau avant de l’embrasser ?

            Parfois, je voudrais mourir. Cela revient par cycles. J’y pense de plus en plus souvent et l’idée de la mort ne m’effraie pas plus que ça. Ce qui est difficile, c’est de penser à Lucas. Si je tiens le coup, c’est avant tout pour lui. Je me rhabille en ruminant mes idées noires. Je sors de l’hôtel. J’ai rendez-vous un peu plus loin dans un autre établissement tout aussi miteux.

Copyright Bianca Bastiani.