La manif.

Bonjour,

Je cheminais dans une rue de Paris. J’avais le cœur en fête, malgré la pluie et les bourrasques froides. Contrairement à mon humeur, j’étais de noir vêtu, la capuche sur la tête. Une bande de joyeux lurons m’a interpellé.

— Tu viens à la manif ?

Je me contentais de sourire.

— Viens avec nous. On va s’amuser.

Peu désireux de contrarier mes interlocuteurs j’ai couru avec eux. Brusquement, nous nous sommes heurtés à une marée humaine qui criait des slogans incompréhensibles. L’un de mes compagnons de route m’a dit.

—Tu es fou, mets donc un masque.

Il m’a tendu un foulard sombre. Je l’ai mis. Lorsqu’il m’a proposé une barre de fer, j’ai compris que je venais de me joindre à un groupe de black blocs. Leurs vêtements avaient la couleur de la nuit. Tout est allé très vite. Poussé, encadré, je me suis retrouvé devant un cordon de sécurité d’une manifestation. Nous avons heurté une vague de poings, puis une autre de boucliers et de casques. Les coups pleuvaient, des projectiles volaient. Le promeneur insouciant que j’étais venait d’être projeté dans une mêlée inhumaine. Encadré par deux géants qui écartaient ceux qui s’opposaient notre progression, je me suis laissé gagner par l’exaltation de mes voisins. Quelques coups sur la tête et le torse devaient rapidement me ramener à la raison. Je me suis traité de fou, en lâchant ma barre de fer. J’ai vacillé en subissant une charge brutale de matraques. Derrière des boucliers, des bouches hurlaient « je ne sais quoi » pour « je ne sais qui ». Personne ne semblait se comprendre. Les rictus sur les visages faisaient penser à ceux des meutes sauvages.

Un coup de sifflet m’a fait tourner la tête. À ma gauche, une ruelle offrait un chemin de repli. En me courbant, j’ai couru comme la proie tentant d’échapper à son prédateur. Je n’étais pas le seul à fuir la mêlée. J’ai enjambé un corps pour gagner la liberté. L’un de nous a hurlé que nous étions dans une impasse. Nos poursuivants ne courraient plus. Avec des sourires de vainqueur, ils mettaient des brassards de la police sur le bras. Les fuyards ont fait front. J’ai continué à courir avec une jeune femme pour atteindre le fond de la ruelle. Elle frappa à une porte cochère qui s’entrouvrit. Avant qu’elle ne se referme, je donnais un coup d’épaule avec l’énergie du désespoir. Je me glissais en murmurant merci. Déjà, le concierge réprimandait sa fille qui disparut instantanément. Il me jeta un regard suspicieux, en pointant un doigt vers moi. Il me laissa seul dans le grand hall pavé de l’entrée de l’immeuble. Une vieille dame est arrivée prudemment. Elle m’a observé. Puis, elle s’est éloignée en chuchotant des mots blessants qui ne pouvaient que m’être destinés.

Quand les rumeurs de la rue s’espacèrent, je suis sorti en jurant que l’on ne m’y reprendrait plus.