Le Livre des Esprits, Allan Kardec. Extrait de la préface.

Le Livre des Esprits, Allan Kardec sortira dans la collection  Atemporel en 2022.

Le livre des esprits ou la bible du spiritisme. C’est plutôt sous ce titre complet que ce livre devrait être présenté à ses lecteurs, vivants ou morts, à en croire mes différentes recherches sur le sujet. Lecteurs qui pour certains deviennent des croyants. D’ailleurs, puisque nous allons entrer dans la sphère ésotérique, je dois vous confesser que je ne suis pas très rassuré. L’atmosphère autour de moi est étrange. Le vent vient de se lever, la nuit est devenue subitement angoissante, le feu de la cheminée prend une teinte étrange et je sens comme une présence flotter au-dessus de mon clavier. Un long frisson me parcourt l’échine tandis que je tape ces mots. Je ne sais si je pourrais achever cette préface. Mon fils vient de me dire que notre chien avait dans sa gueule un corbeau mort quand il est entré dans la maison et que plusieurs autres oiseaux s’étaient écrasés contre les murs de la maison. Et, nous entendons comme un glissement dans l’escalier. Furtif, mais réel.

Mais, pourquoi présenter un tel ouvrage au catalogue de la collection des Atemporels de JDH éditions, qui s’enorgueillit déjà d’y compter Charles Baudelaire, Jean Jacques Rousseau, André Gide, Honoré de Balzac, Charles Lebon, le comte de Lautréamont, Pierre Loti, Victor Hugo, Raymond Radiguet, Edmond Rostand, Étienne de la Boétie et quelques autres parmi les plus grands ?

La littérature classique est assez vaste pour choisir des écrits, disons, plus « rationnels »… moins… fantasques…

Bref, des œuvres plus conventionnelles sans frissons à l’écriture et sans eau bénite nécessaire à l’apéritif.

Et bien ce choix, c’est premièrement parce que c’est le vœu de l’éditeur, ensuite, parce qu’il nous est apparu au comité éditorial qu’il était nécessaire d’explorer les territoires non cartographiés de l’ésotérisme, ensuite, si Allan Kardec est vénéré en Amérique latine, en France, il est tombé dans un désagréable oubli générationnel. Ce monument de la littérature mérite pourtant d’être en bonne place dans les rayons de nos bibliothèques. Même si pour certains, le sujet prête à caution. Saviez-vous que c’est, paraît-il, selon certains observateurs du monde de l’édition (Le livre de poche par exemple), un des livres les plus lus après la bible ?

Le guide du spiritisme.

«L’homme n’est pas seulement composé de matière, il y a en lui un principe pensant relié au corps physique qu’il quitte, comme on quitte un vêtement usagé, lorsque son incarnation présente est achevée. Une fois désincarnés, les morts peuvent communiquer avec les vivants, soit directement, soit par l’intermédiaire de médiums de manière visible ou invisible. »

Ceci est un extrait choisi du livre des esprits. Il y a là de quoi, en deux phrases, fonder croyances, sectes et religions. Ou tout bonnement réfléchir à cette fameuse et persistante idée humaine de la vie après la mort. De l’après-soi.

Pour Allan Kardec, c’est une table tournante lors d’une séance spirite (ce qui était de la dernière mode américaine dans la bourgeoisie parisienne de l’année 1855), qui lui révélera l’inimaginable sur lui-même. Ceci en présence de Victorien Sardou, le célèbre auteur dramatique, alors l’égal dans le milieu du théâtre français d’Alexandre Dumas fils et précurseur de l’art médiumnique avec ses eaux-fortes « spirites» représentants les demeures célestes sur Jupiter de personnages célèbres comme Mozart ou Bernard Palissy. C’est d’ailleurs suite à ces expériences de salons et la fréquentation de quelques personnalités de ce cercle d’érudits de la mort et des âmes, que le futur auteur du Livre des esprits  prend pour pseudonyme Allan Kardec. Nom qu’il pense correspondre à celui qu’il portait dans une vie antérieure, alors qu’il était druide et vénérable dans la gaule celtique. Très certainement en Bretagne, terre magique et de légende s’il en est, vu la consonance du nom. Et ceci bien avant que René Goscinny s’en mêle.

Mais pour bien comprendre l’engouement intellectuel et artistique de l’époque pour le spiritisme, il faut replacer dans le contexte et souligner, qu’en France du moins, la révolution est passée par là et que les croyances populaires traditionnellement catholiques ou protestantes sont concurrencées à nouveau par les légendes urbaines et rurales comme par la sorcellerie ou l’alchimie que pratique d’étranges et mystérieuses sociétés secrètes. La belle société du siècle des Lumières est beaucoup moins croyante que ne l’étaient les précédentes. La science, certains diront le scientisme, libère des places sur les bancs des églises et contrarie jusqu’à l’enseignement du catéchisme. Nombre d’écrits frondeurs et critiques sur les religions émaillent les publications du XIXe siècle. Pour certains, il s’agit même de réécrire la bible vue par le diable. Pour d’autres, il s’agit de démontrer l’absurdité de la croyance religieuse en comparaison avec le résultat scientifique.

Dans ce siècle de progrès, qui voit naître le vaccin contre la rage, le rayon X, l’ampoule électrique, le télégraphe, le moteur vapeur (entre autres choses) et en fin de parcours, l’incroyable cinématographe des frères Lumières, les croyances d’autrefois semblent pour une partie de la population plus instruite ou a contrario pour les ouvriers de la révolution industrielle, passéistes et sans fondements. Le libéralisme et le rationalisme règnent, soutenus par une sécularisation et un anticléricalisme galopant. (Au début du XXe siècle, des journaux satiriques comme l’assiette au beurre, la calotte ou encore Corbeaux, stigmatiserons le clergé tout aussi irrespectueusement que Charlie hebdo aujourd’hui.)  Malgré quelques soubresauts et quelques coups d’éclats de la chrétienté qui tout au long du siècle mobilise ses ouailles contre les mécréants, on cherche autre chose, d’autres domaines où la science pourrait apporter des réponses plus probantes que l’église. La vie après la mort en est un.

C’est des États-Unis, pourtant plus pieux et plus conservateurs, de ce grand pays moderne qui affiche fièrement sa confiance en dieu jusque sur ses billets de banque, que part « la mode » spirite. Plus précisément de l’état de New York, prés de la ville de Rochester, dans la campagne d’Hydesville. Voici les faits : dans la nuit du 31 mars 1848, dans une petite ferme reconnue comme « hantée », deux sœurs, les filles du pasteur David Fox, Margaret et Kate, entrent en contact avec l’au-delà et parviennent à dialoguer avec un esprit frappeur qu’elles nommeront monsieur Splitfoot (littéralement « pied fourchu »). Intriguée, la femme du pasteur, madame Fox, participera à son tour aux expériences de ses filles. S’en suivra un jeu de questions et réponses que l’on nous conte ainsi :

«Mrs. Fox pose diverses questions à Mr. Splitfoot sur l’âge de ses filles. L’entité donne une bonne réponse. Ensuite elle lui demande de combien d’enfants elle est la mère. L’entité donne une mauvaise réponse : sept coups sont frappés au lieu de six.

Mrs. Fox repose la question et ajoute :

“Combien de vivants?”.

Six coups sont frappés.

“Et combien sont morts?”.

Après une pause, un coup plus puissant résonne dans la pièce. L’esprit a tenu compte d’un enfant mort à trois ans dont on ne parlait pourtant pas dans la famille.

L’entité dit se nommer Charles Rosma, il dit être un colporteur assassiné dans cette maison et dont le cadavre avait été enterré dans la cave. On fouille alors le sol de la cave. Mr. Fox et ses voisins découvrent des cheveux et, après expertise, des ossements humains. Mais ce n’est qu’en 1904 que l’on découvrit d’autres ossements humains sous le mur de la cave, avec à proximité une boîte de colporteur en fer blanc. Bien qu’aucun Charles B. Rosma ne fût déclaré disparu, cette découverte fut considérée par les adeptes comme la preuve d’une véritable communication au-delà de la mort.»

Les « évènements de Hydesville », aujourd’hui nous dirions « l’affaire non classée », donnent ainsi naissance à un véritable phénomène de société. En moins de cinq ans, en 1852, l’engouement pour le spiritisme atteint son comble aux États-Unis : on compte plus de trois millions d’adeptes, d’innombrables médiums qui s’officialisent, ainsi que de nombreuses revues spécialisées et ouvrages de toutes sortes. Parmi les adeptes européens des théories spirites se trouvent des personnalités telles que Victor Hugo, Conan Doyle, Raspoutine, Houdini… Doyle,  ainsi que de nombreux savants et intellectuels.