Anne Sophie Tredet, nouvelle auteure de la collection Drôles de pages, signe un livre remarquable, sur le thème du journal intime. Bientôt disponible partout.
Il était une fois,
Une balance à poids,
Qui penchait d’un côté, l’histoire ne précise pas lequel…
Mais il en était ainsi depuis des milliers d’années.
Invariablement.
Infailliblement.
Inexorablement.
Les sages disaient qu’il en allait de l’ordre du monde,
Du royaume prospère des hommes,
Elus par les dieux.
De l’autre côté de la balance, s’agglutinaient les femmes, pauvres créatures vivant dans l’obédience et la frivolité.
Une peuplade sans ancrage, à l’image de leurs mini-jupes qui se lèvent, de leurs croc-tops qui s’effilent…
Un peu comme une civilisation sans écriture, condamnée à la soumission et à l’oubli.
Leurs larmes coulaient toujours dans le silence. Esseulées, elles n’étaient que gouttes d’eau.
Mais ensemble elles pouvaient former des océans… de solidarité. Fait qu’elles ignoraient, comme elles ignoraient qu’elles valaient mieux qu’une courbure, qu’un déhanché, qu’un poids en moins sur une balance.
Un jour d’été, des jeunes filles voulurent viser l’océan plutôt que la goutte qui s’évapore instantanément.
Elles réalisèrent que d’autres chemins, autres que ceux de leurs jambes dévolues aux droits de cuissage sans effusion, pouvaient s’ouvrir en elles…
Alors la balance à poids se mit à trembler, réveillant de leur sommeil de plomb quelques spécimens masculins encore capables de déceler une civilisation en décomposition.
Les autres, plus « barbousards » et moins regardants, conclurent négligemment à des glissements de terrain sans conséquences. Ils continuèrent de vaquer à leurs occupations ordinaires de domination du monde et de ces dames. Car le royaume des femmes les distrayaient beaucoup.
La seconde d’après sur l’échelle du cosmos, – l’histoire ne dit pas en quelle saison terrestre – les plaques tectoniques bougèrent. Magnitude non répertoriée dans l’ordre du monde.
Ce séisme éjecta tous les poids sur la balance.
Celle-ci, déséquilibrée, surprise, bascula et fut projetée, un laps de temps très court, côté opposé.
C’est là que la vie décida de faire une pause…
Rassemblant, cristallisant, tout le poids de ce côté.
Ou plutôt, devrait-on dire, du côté vide de l’humanité !
Les grands scientifiques, bardés de leurs distinctions et forts de carrières exemplaires, évoquèrent un big-bang hormonal.
Ce moment de flottement, c’est notre maintenant…
Celui où les hommes et les femmes forment des contre-pouvoirs.
Avantage incontestable pour la femme qui se réveille d’une soumission immémoriale et veut sa revanche.
Quant à l’optimiste, ce bouffon moderne, lui voudrait que la balance retrouve un équilibre.
Mais la balance est rouillée,
Perforée, éventrée entre stalagmites et stalactites,
Juchée sur le flan du monde, elle est réduite à l’état d’épave, comme on en laisse mourir partout.
Une épave qui va céder sous le poids de ne plus en avoir.
Car les hommes et les femmes ne se retrouveront plus jamais.
Cette désunion, c’est le glas qui sonne le la,
Le précipice du déclin.
Va joli monde, va, fais nous danser jusqu’à la nuit car demain ne se lèvera plus !