Lettre à Colin

Lettre à Colin

Monsieur,

Je suis issu de l’immigration, du point de vue du pays dans lequel je réside.

Ce pays, qui ne se pense qu’en grand, intègre par a-culturation, sans doute seule sa culture mérite d’être enseignée tout comme sa langue. Loin de lui l’idée du Melting Pot.

Je ne parle pas la langue de mon grand-père.

Tout petit, j’allais, le mercredi, chez une nourrice. Il y avait là un petit garçon de mon âge avec qui je jouais. Avec qui je m’étais lié, par affinité d’âge, sans doute.

Nous jouions ensemble et nous faisions sans doute des « bêtises » ensemble, dans des fous rires. Aux beaux, nous pouvions aller jouer dans le jardin où il y avait une grande balançoire et un immense bac à sable.

Nous jouions dans ce sable blond qui se prêtait à toute notre imagination de circuit pour pousser des billes qui faisant avancer de petites voitures ou des cyclistes. Las de ce jeu, il pouvait alors arriver que nous détruisions notre œuvre et tel des géants nous écrasions la route. Tout à la joie de reproduire les combats entre King Kong et Godzilla, nous jetions du sable dans l’air en guise d’explosions que produisaient nos joutes dantesques sur le petit monde des hommes.

Sans doute attirée par le bruit des cris de joie de voir voler dans les airs cette poudre minérale qui retombait en pluie brillante sur nos têtes, nos épaules, nos pulls, nos pantalons et nos chaussures, la nourrisse sortie de sa maison et se précipita sur nous.

La nourrisse se précipita sur moi, plus que sur mon camarade de jeu afin que cesse ce jeu. Dans le regard de la nourrisse, je vis de tout évidence que j’étais plus coupable que mon camarade. Dans le regard noir que me lança la nourrisse, mon sang ne fit qu’un tour et je devins sans doute tout pale tant était grande ma faute que d‘avoir jeter du sable. Tant semblait grande cette faute que de jouer avec un autre enfant dont je savais que le sourire émail et ivoire ; un frère de jeu, un semblable de sang.

Les mots, aboyés, par cette femme, m’accablaient mais stigmatisaient mon ami. Je comprenais que ses cheveux crépus étaient pareils à des cages pour le sable.

Et alors ?

Il m’aurait fallu comprendre que « ces » cheveux crépus sont des cages pour le sable, car elle ne le désignait pas lui. Elle se sentit obligée de préciser.

Les noirs ont des cheveux crépus.

Et alors ?

Pourquoi parler de pluriel, nous n’étions que deux, il était singulier face à moi. Il était unique pour moi en son genre : mon ami…que je vis noir à ce moment. Cette sentence jetée sur moi le stigmatisait lui comme noir, tous pareils.

Pourquoi n’y aurait-il pas eu chez « les noirs » tout un camaïeu de couleur et de forme de cheveux comme chez le blanc ?

Des frissés et des raides, des blonds et des châtains, des roux. Non, le noir est noir, pareil comme tous les autres du même acabit. Noir c’est noir. Pas de nuance. Pas de différences. Tous pareils et unique ; noir !

A la fin de l’envoi, je touche. D’un jet de mots, je fus balafré. Mon ami n’était plus pareil, ce n’était plus un enfant, c’était un noir. Mon ami n’était plus pareil. Il était différent, d’une différence qui élève des murs, qui crée l’écart, qui met à l’écart.

A recevoir la menace et que la gifle tombe sur mon voisin, étais-je encore en droit de jouer avec lui ou le regarder ?

Puis, il y eu la référence à son père. Au père de mon copain…un grand costaud noir, et militaire. En une phrase, j’ai eu l’impression qu’elle parlait d’un ogre. C’est vrai, l’ogre des contes de fée pourrait gagner à être encore plus effrayant, si en plus d’être grand, costaud, amateur de chair fraiche, s’il avait été noir !

Après cet épisode, je n’ai plus de souvenir de jeux avec mon camarade de garderie. Je ne me souviens plus de lui. Il a disparu.

Au cours de mes études, pour les besoins de travaux de recherche, je lisais Jeune Afrique. Je n’y étais pas abonné, je l’empruntais à la bibliothèque universitaire. Un jour, sans doute intrigué de voir un blanc lire ce magasin, un étudiant a dû engager la conversation. Ce que j’ai retenu des 3 ou 4 heures que nous avons passé ensemble a été de faire la différence entre habitant de l’ouest et de l’est. Sans détour, je me souviens qu’il m’a dit que pour les bancs, les noirs sont tous noirs comme les jaunes sont tous jaunes. Et me renvoyant à ma condition de blanc, m’a dit que pour un noir, tous les blancs sont blancs mais tu fais bien la différence entre un anglais et un italien, entre un portugais et un suédois.

Quand bien même, il y a du métissage, nous avons tendance à mettre en couple au sein de la même communauté, majoritairement sans doute les blancs se marient entre eux, idem en terme de nationalités…Il a raison, les anglais, sur la plage, l’été arrivent tout blanc et deviennent tout rouge au bout d’une demi-journée quand bien même leur pâleur est accentuée par de la crème protectrice.

J’ai appris.

Lors de mon intégration dans une mutuelle d’assurance, je dialogue avec chacun de mes nouveaux collègues. Avec chacun, avec chacune. L’une me confie, en aparté d’une séance de formation au logiciel de l’entreprise, qu’elle a perdu un de ses neveux d’un cancer. J’ai immédiatement le sentiment d’être accepté, d’être intégré au sein d’une équipe. Je fais le tour des bureaux et des personnes viennent à moi. J’apprends, je travaille. Un collègue arrive avec un sourire émail et ivoire. Nous discutons entreprise, nous discutons corporate. Je fais figure d’étranger à ses yeux, il a la nouveauté pour moi. Je lui dis : golf de Guiné ? Il me dit Cameroun. Je lui demande, Yaoundé ? Douala ? Il est surpris que du tact au tact, je lui réponde par la capitale et une grande ville. Mon collègue me dit sa surprise de voir un blanc « connaitre » son pays d’origine.

Nous parlons rapport à la nature. Il habite ici une très grande ville. Il est urbain, c’est un citadin, mais il aime retourner au pays de ses aïeuls pour faire l’expérience d’un rapprochement, d’une vie en osmose avec la nature. S’il me parle de la jungle ; de la forêt tropicale, de la faune et de la flore, il me raconte en sommes ma vie de campagnard. Ma vie, ici à la campagne est plus proche de sa vie de là-bas, que de la vie en ville. La température en variable. Peut-être que tout est une question d’environnement et d’éducation.

Notre échange a été…vu.

A la réunion qui s’en est suivie, je suis interpelé…alors il est sympas… Il y a des sous-entendus que je ne relevé pas. Je dirai même qu’il y a des sous-entendus qui m’échappent. Je ne partage pas tous les degrés de langage. Et de fil en aiguillé quelqu’un autour de la table éclate…mais il est NOIR ! Il (en parlant de moi) n’a pas remarqué qu’il est noir ! Pourquoi devrais-je ne m’arrêter qu’à cela pour le caractériser ? Il est venu à moi avec un sourire. J’imagine même qu’il est encore plus.

Quel dommage pour eux ! Je suis riche, plus riche que tous mes interlocuteurs autour de la table, qui se sont gaussés dans un même élan que le juge « mais il est noir », qui se sont arrêtés à une apparence, au vernis pour ne pas chercher à en savoir, plus.

Se contenter d’un savoir superficiel, de pure forme et ne pas aller au-delà.

Il y a des gens qui me sont sympathique et d’autre antipathique. Ces gens de l’un à l’autre, le sont par leur expression corporelle, linguistique, par leur idée. C’est le fond qui m’importe ou qui m’insupporte. Pas la forme. Pas la couleur.

L’ironie est de s’arrêter à la forme, à la couleur du papier cadeau pour juger toute la valeur du présent qu’il renferme.

L’ironie de s’arrêter…est justement de s’arrêter. Trop vite, par si peu, de ne pas avoir partagé, cette absence d’avoir tisser des liens, fait sans doute de notre humanité une humanité imparfaite. Laissons l’histoire où elle est, bloquée dans des livres et des photos. Quels dommages pour la quête de la sagesse que de n’avoir pas su, que des hommes n’est pas su échanger, partager, se connaitre, se reconnaitre.

Nous ne sommes pas blanc ou noir, ou autre, intrinsèquement. Nous ne sommes que ce que nos yeux, qui nous trompent, nous donne l’illusion de voir. Nous ne sommes que ce que la lumière, qui trompe nos yeux, nous donne l’illusion de voir. Et la lumière passe au filtre de l’eau, c’est un arc en ciel qui apparait, à nos yeux, sans voir au-delà du violet, sans voir en deçà du rouge.

 

« Ton étoile jaune c’est ta peau »…non plus d’étoile jaune. Cette image appartient au passé, à des gens morts qu’il nous faut laisser reposer en paix, ne pas exhumer, qu’il ne faut plus exhumer. Je n’ai pas dit oublier !