Naissance du « Chant des Brisants »

Bonjour,

 

Extrait de « La Pluie Soleil », roman que j’ai écrit le siècle dernier. Il m’a inspiré « Le chant des Brisants » que vous pouvez lire, sans avoir lu « La Pluie Soleil ».

 

https://jdheditions.fr/team/alain-maufinet/

 

Désormais, je vous propose de frémir.

 

« L’océan grogne les heures. L’horizon va lever le voile d’une journée nouvelle. Les yeux fixes, ténébreux comme une nuit sans étoiles, un homme chantonne en noyant son chagrin au fond d’une bouteille.

  • Séga avec tamtam zautes dé fine mort ensemble (1).

Les vagues lèchent les braises et étreignent les dernières flammes. Les danseurs épuisés sont couchés sur le sable. Des couples se rejoignent ou se forment, à l’ombre fragile des filaos. Protégés par les clartés d’une lune mutine, des hommes et des femmes partagent leurs cultures, leurs désirs, leurs rêves. (2).

W.K est satisfait de sa nuit. Il a apprécié la fougue de sa compagne qui lui a confié fort peu de choses. Il connaît simplement son prénom, Dominique. Il se redresse, ouvre un tiroir où dorment un groupe de foulards de soie. Il saisit le premier, vérifie sa solidité, puis attache les mains de la jeune femme blonde. Elle n’oppose aucune résistance, et demeure les yeux fermés. Elle murmure même quelques mots, d’un ton désinvolte et provocateur, en se redressant pour mordiller le lobe de l’oreille de son bourreau.

—  Plus fort, il faut serrer plus fort.

Il s’énerve et ne réussit pas à lier correctement ses poignets avec les foulards. Dominique lui lèche désormais le cou, furtivement, mollement, en répétant la même phrase, trois fois.

  • Un bourreau doit savoir garder son calme.

Il lui répond animé par une folie soudaine.

  • La dernière, que j’ai attachée, a gémi trois jours et trois nuits avant de s’éteindre. Je l’ai soumise à des tortures… »

Elle se raidit. Elle ébauche un sourire féroce, en le fixant. Elle se dresse, prête à mordre. Ses dents semblent anormalement longues. Le visage charmant est transformé par un rictus méprisant.

— Le dernier qui a sombré dans mes bras, sans se protéger, comme toi, a écourté sa vie. Je suis contaminée, par un mal qui frappe notre fin-de-siècle. Maintenant, tu peux te dire que tu es perdu.

W.K frémit. Un regard de glace fige ses gestes. Il avait, jusqu’à cet instant, cru salir la vie d’une innocente. Il avait cru profiter d’une Candide. Il découvre un succube (3), une femme démoniaque, aux yeux zébrés de flammes rouges. Saisi par un profond vertige, il ne termine pas ses nœuds. Il détache même sa victime, hâtivement, comme s’il souhaitait revenir au début de la nuit, comme s’il voulait effacer un cauchemar qui se substituait à une aventure divertissante. Sans bouger, elle lui lance.

— Moi aussi, je me moque de la vie des autres, surtout pour ceux qui te ressemblent.

Il recule. Il s’enferme dans la salle de bain, pour fuir cette créature nue, qui le fixe intensément, sans se dégager de ses derniers liens, et sans frémir. Ce regard le terrorise. La jeune femme gracieuse s’est transformée en démon. Il essaye de se redonner du courage, en se regardant dans la glace. Il tente de chasser ses délires hallucinatoires. Cette fille doit mentir. Pense-t-il

Mais, pour la première fois, un œil noir, marqué de larmes de sang, le fixe dans une pièce, à travers le miroir. Un sentiment de colère le submerge. Il respire profondément, serre les poings et secoue la tête, pour se débarrasser de cette vision obsédante. Il brise la glace, touche le mur. L’œil a disparu. Il tombe à genoux. Sa main touche une ceinture. L’homme reprend ses esprits. Il se précipite dans la chambre. Il agite comme un fouet, sa lanière de cuir. Il est prêt à frapper, à écraser le serpent qui l’a embrassé et mordu. La pièce est vide. Dominique a disparu, sans un bruit, sans un mot. Plus un seul de ses vêtements ne subsiste dans la chambre. Sur les draps blancs, qui ne trahissent que l’empreinte d’un corps, le foulard rouge, meurtri par des nœuds maladroits, forme un point d’interrogation. W. K. rugit. Il heurte les murs et lacère ses fantômes. Il voudrait détruire ce regard, qu’il devine derrière lui. »

 

—————————————————

 

(1) « Un Sega et un tam-tam s’éteignent ensemble ».

(2) Scène de Sega, en fin de livre.

(3) Démon femelle qui s’unit à certains hommes durant la nuit.