Parlons littérature : le naturalisme

 

Parmi les écrivains représentatifs du naturalisme français : Guy de Maupassant, Huysmans ou Alphonse Daudet. Pour ne citer qu’eux.

Pour l’expliquer, comme pour le décrire, on pourrait presque voir le naturalisme comme le portrait « physiologique » du réalisme. Le réalisme, comme son nom l’indique, consiste à coller à la réalité nue. À « décrire le cadavre sans s’occuper de son pourrissement intérieur ». Le naturalisme y ajoute une profondeur supplémentaire qui se veut « vérité », une « autopsie », et qui peut devenir crue, par le fait. Et peu importe au final, où se trouve cette vérité et dans quel contexte elle se place. Le naturalisme prend en ingrédient d’écriture l’étude comportementale et la relie au contexte de vie du personnage. Ce contexte explique ou justifie le comportement du personnage pour le lecteur. Émile Zola est le principal représentant de cette école littéraire en France. Le mouvement s’étendra ensuite dans toute l’Europe et jusqu’au Nouveau Monde. Zola écrira : « l’observateur et l’expérimentateur sont les seuls qui travaillent à la puissance et au bonheur de l’homme, en le rendant peu à peu le maître de la nature. Il n’y a ni noblesse, ni dignité, ni beauté, ni moralité, à ne pas savoir, à mentir, à prétendre qu’on est d’autant plus grand qu’on se hausse davantage dans l’erreur et dans la confusion. Les seules œuvres grandes et morales sont les œuvres de vérité. »

Le naturalisme est revendiqué par Émile Zola, il en exclut Balzac et sa comédie humaine, et il lui donne son véritable sens littéraire à travers sa propre œuvre. Zola en fait une « école romanesque ». Comme il l’explique à propos du Roman expérimental : « Il est du devoir de la littérature de se faire scientifique. J’en suis donc parvenu à ce point : le roman expérimental est une conséquence de l’évolution scientifique du siècle; il continue et complète la physiologie, qui elle-même s’appuie sur la chimie et la physique; il substitue à l’étude de l’homme abstrait, de l’homme métaphysique, l’étude de l’homme naturel, soumis aux lois physico-chimiques et déterminé par les influences du milieu; il est en un mot la littérature de notre âge scientifique, comme la littérature classique et romantique a correspondu à un âge de scolastique et de théologie. »

Pour illustrer sa théorie naturaliste, Zola écrira donc les vingt romans du cycle des Rougon-Macquart ou Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire. Chacun de ses romans mettra en scène un personnage de cette famille choisie et la passera au microscope après vivisection. Il profite de la filiation et de l’hérédité pour faire avancer son personnage dans le milieu et le contexte choisi avec le plus de « naturalisme » possible. Zola s’attaque à diverses conditions sociales pour étayer son propos et varier les plaisirs, ce qui lui permet d’enchaîner les situations « naturalistes en milieu naturel ». Les mineurs de Germinal ou les artistes et le prolétariat de l’Assommoir sont pour moi ses tableaux les plus réussis avec le portrait des gens du rail fait dans La Bête humaine. Que Renoir sublimera au cinéma en 1938, avec l’incroyable Jean Gabin dans le rôle-titre. Qui a lu ce roman, comprendra la mise en scène de Renoir, et « l’enfer » de la locomotive. Enfer où le personnage voit un paradis par rapport à son propre enfer. Dans la prodigieuse pièce de Serrault et Poiré, « La cage aux folles » une réplique rend hommage au personnage de Lantier. Pour faire montre de virilité, on demande à Zaza d’avoir l’attitude de « Gabin descendant de sa locomotive ». Ici, dans La bête humaine, le décor de vie du personnage incarne à merveille son psychisme.

Les années 1890 marqueront en France le déclin de ce mouvement littéraire, les chefs de file décédant ou changeant de cap : Émile Zola achève le cycle des Rougon-Macquart en 1893, puis se tourne vers le journalisme et la photographie entre deux exils et procès. Maupassant meurt en 1893 et Daudet en 1897. Longtemps considéré comme un mouvement sans lendemain, comme un feu de paille intellectuel et artistique, comme  le sera le fauvisme un peu plus tard, le naturalisme aura pourtant contribué à installer durablement « le roman moderne » chez l’éditeur et dans le cœur du lecteur. Et comme beaucoup d’auteurs contemporains, personnellement, je m’en revendique de ce naturalisme cru. Ne serait-ce que pour la liberté d’écriture et de choix d’univers qu’il permet.

Tout comme avec le cubisme, quelques années plus tard, sous l’influence de Braque et de Picasso, on commentera le tableau naturaliste et on parlera de frontalité, d’un regard qui va des pieds à la tête du spectateur, d’un choc d’abord bidimensionnel, puis enfin tridimensionnel avec l’apport autorisé de la propre psychologie de l’auteur au texte, concept qui fleurira dans le nouveau roman.  L’école naturaliste fera des émules dans le monde entier et influencera une certaine peinture que d’autres artistes mettront en musique. Mais, c’est encore là, une autre histoire.

YLR