Sur la mort de Zola

Le 29 septembre 1902, de retour de Médan à son adresse parisienne, rue de Bruxelles dans le 9e arrondissement de Paris, Émile Zola et son épouse Alexandrine sont mortellement intoxiqués dans la nuit, par la combustion lente d’un feu couvert produit par la cheminée de leur chambre à coucher. Une flambée faite avec de petits boulets de charbon avait été prévue pour réchauffer la chambre des maîtres de maison pour la soirée de leur arrivée . Dans la nuit, Alexandrine, fortement incommodée par des émanations toxiques de la cheminée, propose à son mari de réveiller les domestiques pour remédier au problème. Mais Zola lui demande de ne pas les déranger pour rien. Ensuite, peu de temps après, Alexandrine se rappelle l’avoir vu s’affaisser sur une chaise, sans connaissance, avant d’elle-même s’évanouir. Émile Zola aurait alors déjà absorbé une dose mortelle de « gaz carbonique et d’acide carbonique ». Zola décède officiellement vers 9 h du matin. Alexandrine, après avoir reçu des soins d’urgence, survit et est dirigée en clinique.

Le retentissement de la mort d’Émile Zola est immense.  La presse traduit de l’émotion qui gagne la population en rendant un hommage quasi unanime à l’auteur de « J’accuse… ! ». L’Aurore arbore un liseré noir en signe de deuil sur son édition du jour. Le Figaro, en première page, se lamente sur la fin précipitée des grands auteurs français après les disparitions successives de Gustave Flaubert, d’Alphonse Daudet et maintenant de Zola.

La Libre Parole, journal antisémite, titre : Un fait divers naturaliste : Zola asphyxié. Le journal La Croix publie un article qui prétend que Zola s’est suicidé. La presse étrangère se fait largement l’écho de la mort dramatique du célèbre l’écrivain français. L’hommage international est unanime.

Au cours des obsèques de Zola au cimetière de Montmartre, une délégation de mineurs de Denain défile devant sa tombe en scandant « Germinal ». Le « petit peuple de Zola » lui rend hommage un peu partout en France. Anatole France lira sa désormais célèbre oraison à l’auteur de « J’accuse… ! » : « Devant rappeler la lutte entreprise par Zola pour la justice et la vérité, m’est-il possible de garder le silence sur ces hommes acharnés à la ruine d’un innocent et qui, se sentant perdus s’il était sauvé, l’accablaient avec l’audace désespérée de la peur ? Comment les écarter de votre vue, alors que je dois vous montrer Zola se dressant, faible et désarmé devant eux ? Puis-je taire leurs mensonges ? Ce serait taire sa droiture héroïque. Puis-je taire leurs crimes ? Ce serait taire sa vertu. Puis-je taire les outrages et les calomnies dont ils l’ont poursuivi ? Ce serait taire sa récompense et ses honneurs. Puis-je taire leur honte ? Ce serait taire sa gloire. Non, je parlerai. Envions-le : il a honoré sa patrie et le monde par une œuvre immense et un grand acte. Envions-le, sa destinée et son cœur lui firent le sort le plus grand. Il fut un moment de la conscience humaine. »

Zola fut donc honoré lors de ses obsèques et l’opinion salua un grand homme disparu trop tôt, qui aura marqué les consciences. Mais, pour autre partie de l’opinion publique, Zola est mort assassiné. Victime d’une de ces factions d’extrême droite, ou des fous assassins qui ne lui ont pas pardonné son rôle majeur dans l’affaire Dreyfus. Et son statut « d’amis des juifs ». Côté justice, dès le 29 septembre 1902, jour de la mort d’Émile Zola, une instruction est ouverte avec la nomination d’un groupe d’experts qui effectueront son autopsie. Côté police, comme côté famille, on veut clore le chapitre rapidement. Pour le commissaire en charge de « la nouvelle affaire Zola », c’est un accident qui aura tué l’illustre auteur. Point final. Sa famille cherche aussi à éviter la polémique. Peut-être, par peur, peut-être par lassitude, car n’oublions pas que depuis 1896, Zola, à cause de ses prises de position, vivait sous la menace perpétuelle d’un attentat.

L’autopsie conclut donc logiquement à « une asphyxie par le gaz oxyde de carbone, ainsi que le prouve l’analyse spectroscopique du sang de l’écrivain. »  Des expériences sont réalisées par les experts dans la chambre de Zola, dans le but de reproduire les conditions physico-chimiques ayant provoqué le décès du romancier, mais sans résultats. Ce qui sèmera le trouble. Malgré un certain nombre de contradictions, le juge validera la thèse de l’accident le 13 janvier 1903. L’explication officielle sera maintenue pendant cinquante ans.

Mais en 1953, sous l’impulsion de quelques-uns de ses journalistes, le journal Libération, publie une série d’articles qui interrogent sur la mort de Zola. Et ils produisent un scoop : le témoignage d’un pharmacien en retraite qui affirme connaître l’assassin de Zola, rencontré en 1928. L’homme en question, non identifié avec certitude à l’époque, était ramoneur et il aurait avoué avoir bouché le conduit de cheminée de l’écrivain la veille de sa mort. En passant par les toits de la maison voisine. Dès le lendemain matin, il aurait réalisé l’opération inverse sans avoir été aperçu. Les deux hommes se seraient connus dans le cadre d’actions militantes nationalistes. Le « fumiste » aurait même été un cadre de la Ligue des patriotes, mouvance ayant condamné avec véhémence, lettres, articles et menaces Lourdes, l’engagement d’Émile Zola dans l’affaire Dreyfus. Et dans la défense des juifs de France.

Mais cette thèse d’assassinat , basée sur un témoignage indirect, était proprement invérifiable. À l’époque.

En 1978, cependant, Jean Bedel, le journaliste à l’origine des articles publiés en 1953 dans le journal Libération, révèle le nom du fumiste dans un court article du Quotidien de Paris : l’homme se nommerait Henri Buronfosse.

C’est Alain Pagès, célèbre biographe, qui reprendra le dossier, et découvrira en effectuant des recherches aux archives de Paris et de Sarcelles, la vie de ce personnage intriguant, s’accusant devant témoin du meurtre d’Émile Zola. Militant patriote et antisémite, il était effectivement propriétaire d’une entreprise de ramonage, et quelques autres détails, notamment liés à des modifications de son état civil, rendent la version du pharmacien Haquin très probable. L’absence d’enquête policière sur la présence signalée de fumistes sur les toits de l’immeuble de la rue de Bruxelles où habitait Zola est aussi très troublante. La thèse de la cheminée intentionnellement bouchée refait surface… d’autres auteurs et historiens, essayeront de prouver, en s’appuyant sur des rapports de police établis d’après des crimes similaires, que non seulement la cheminée de Zola pu bel et bien être bouché, mais qu’en plus, une substance chimique empoisonnante aurait pu tout à fait être versée sur les boulets de charbons incandescents. Preuve en est, dans l’après-midi même du jour de l’arrivée du couple Zola, le valet de la maison avait dû aérer la chambre, car selon son témoignage recueilli à l’époque par la police, la cheminée avait fumé anormalement en dégageant une odeur âcre. La thèse de la complicité éventuelle du domestique de Zola, Jules Delahalle, sera écartée, car peu probable selon la famille même de Zola. « L’homme vénérait Émile ».

Alors, Zola, assassiné ?

YLR