Pour qu’elles ne soient pas que de simples numéros… Par Carlo Sibille Lumia

 

Un journaliste de métier,  en presse écrite, nouvellement auteur JDH, participe à l’Edredon. Vous le découvrirez bientôt dans la collection B.Files. En attendant, voici l’un de ses articles, sur un sujet extrêmement douloureux.

YLR.

Pour qu’elles ne soient pas que de simples numéros…

Par Carlo Sibille Lumia

 

Catherine, Karine, Alexandra, Carine, Anonyme, Nirojini, Aurélie, Mélissa, Sylvina, Brigitte, Hanane, Anonyme, Korotoume, Célène, Christine, Anne-Sophie, Dina, Pascaline, Georgette, Déborah, Monica, Sarah, Franciele, Sylvie, Joelle, Manon, Yasemin, Natacha, Raymonde, Gwenaëlle,Hillary, Laure, Janaina, Mathilde, Valérie, Marguerite, Genevieve, Anne, Lorena, Karine, Avril, Fouad, Luna, Anonyme, Alissatou, Virginie, Anonyme, Alaïs, Sonia, Brigitte, Aurélie, Jacqueline, Anonyme, Madalina, Grâce, Cécile, Jessyca, Camille, Lola, Anonyme, Xiao, Salma, Magdalena, Séverine, Anonyme, Céline, Sandy, France, Herma, Linda, Claudette, Sylvie, Fatiha, Jennifer, Florence, Anonyme, Laura, Véronique, Dialine, Andrée, Marie-Amélie, Brigitte, Virginie, Laeticia, Anonyme, Valérie, Tiffany, Lisiane, Olivia, Karina, Simone, Emmanuelle, Mélanie, Laeticia, Valérie, Maelys, Sabrina, Bettina, Thérèse, Aurore, Lucette, Nathalie, Jeannie, Myriam, Marcelle, Barbara, Khaddija, Valérie.

Elles sont au nombre de 98 et sont nos sœurs, mères, amies, voisines, cousines collègues de boulot. Elles ? Les femmes victimes de féminicides en 2020, tuées par leur compagnon ou ex-conjoint… Bien trop précieuses pour qu’elles ne tombent dans l’oubli — classées au rang de simples numéros, destinées à alimenter les statistiques annuelles de l’Etat…
Alors oui, il est primordial de les citer, pour ne pas oublier leurs histoires, leurs regards, leurs larmes, leurs espoirs, et leurs souffrances… Ne pas oublier que leurs vies, eti celles de leurs familles, ont été brisées…

C’est pourquoi le collectif associatif « Féminicides par compagnons ou ex » a tenu à rendre hommage à ces 98 femmes en érigeant en ce début d’année un mémorial rue Bouvier à Paris sur lequel figurent leurs prénoms…Une manière d’essayer de faire ouvrir les yeux à l’Etat, à la société, sur l’ampleur du problème ; et peut-être enfin prendre les mesures adéquates pour mettre fin à ces actes.

C’est moins qu’en 2019 oseront dire certains (146 féminicides avaient été comptabilisés) … Mais ça reste beaucoup trop. Nous ne pouvons nous satisfaire de données chiffrées à la baisse sur une courbe ! Il y a bien trop d’enjeux derrière, de vies brisées, de familles déchirées, d’enfants traumatisés qui grandiront sans leur mère…

Surtout lorsque l’on sait qu’en 2020, la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes a enregistré une hausse de 60 % durant le second confinement (une hausse de 40 % avait déjà été constatée durant le premier confinement).

« Maman a des bleus au visage et aux bras… »

Et il n’y a qu’à assister à une journée ordinaire dans un tribunal de province – où la moitié des prévenus jugés en comparution immédiate le sont pour des violences conjugales – pour le vérifier… Combien de témoignages de femmes humiliées, frappées, rabaissées, coupées du monde, vivant dans la peur – parfois avec leurs enfants – les yeux rougis,  présentant des ecchymoses sur l’ensemble du corps devra-t-on encore écouter, impuissants ?

« Papa s’énerve et crie sur maman, car il dit qu’elle fait mal à manger. Je ferme la porte de ma chambre pour ne pas entendre. Maman a des bleus au visage et aux bras. »
Voici l’un des derniers témoignages entendu en ma qualité de journaliste de presse quotidienne régionale dans l’une des salles d’audience correctionnelle d’un palais de justice mosellan. Le petit ami violent a fait vivre un véritable cauchemar durant six ans à sa conjointe… Lui assénant régulièrement des coups de poing, lui confisquant son téléphone, l’empêchant de travailler ou de voir sa famille, lui crachant au visage pour des motifs plus futiles les uns que les autres. Et ce, souvent sous le regard ou à portée de voix des enfants, tout aussi apeurés, certainement choqués à vie. Multirécidiviste, du sursis planant comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête, l’homme de 33 ans a finalement été condamné à deux ans d’emprisonnement ferme… Pour six années d’enfer.

Ce qui ne fut pas le cas de tous les prévenus jugés ce jour-là ; l’un d’eux n’ayant été que condamné à l’obligation d’effectuer un stage de sensibilisation aux violences sexistes. Son casier vierge et sa situation professionnelle plaidant en sa faveur, tout comme son avocat, minimisant les faits dans sa plaidoirie : « On s’aime, on se hait, on se chamaille… Nous avons tous connu ça ! »

Lors de l’audience de rentrée judiciaire qui s’est tenue il y a quelques jours au sein du palais de justice pris en exemple, présidente et procureur de la République ont indiqué compter sur la mise en place du bracelet anti-rapprochement (BAR), jugé « complexe mais utile » pour lutter contre ce fléau. Ce dernier permet de géolocaliser le conjoint ou ex-conjoint violent et de déclencher une alerte lorsqu’il se rapproche de la personne protégée au-delà du périmètre établi.
Mais se bercent-ils d’une douce illusion ?

Même si le système de BAR semble avoir fait ses preuves en Espagne où il est utilisé depuis 2008, on voit mal comment il pourrait à lui tout seul résoudre le problème… Les forces de l’ordre devront-elles faire quotidiennement la tournée des BAR et auront-elles les ressources nécessaires pour le faire, devant la montée des actes de violences conjugales.
Ne faudrait-il pas sensibiliser dès le plus jeune âge les petits garçons, revoir les fondements même de notre société pour qu’ils n’impriment pas de modèles sexistes, misogynes ?

Ou devrons-nous citer et afficher au mur, l’année prochaine, à la même date, les prénoms d’une centaine de nos sœurs, mères, amies, voisines, cousines collègues de boulot ?