Souvenirs.

 

Allons nous promener, le temps d’un café-clope,  dans une France qui n’existe plus. Dans un village comme il y en avait tant. Dans un village où le maire, le garde-chasse, le châtelain, l’instituteur, le facteur et le curé avaient les premiers rôles, avec le concours commerçant de l’épicier, du boulanger et du patron du café. Sous l’arbitrage du notaire. Un village avec une place de la mairie, un bar-tabac « de la mairie », une église et un bureau de poste en face de la même mairie. Avec un seul et unique arrêt de bus, juste en face de l’épicerie qui avait elle-même une pompe à essence le long de son mur, et plus loin, un petit garage en tôle pour les réparations mécaniques urgentes.  Sur la place, derrière les parterres de bégonias, il y avait un vieux un four à pain. On ne s’en servait plus depuis longtemps. Mais, il était là, comme le puits, recouvert d’une grille pour éviter les accidents.

En face de l’entrée du petit cimetière, derrière l’église, il y avait  un monument aux morts éternellement fleuri par les veuves et les mères du village et le long des murs de ce cimetière poussaient les meilleurs cèpes de la région. On se les partageait sans dire d’où ils venaient. Comme on ne pleurait pas en public. C’était un village donnant sur une forêt avec une clairière bordée de chênes et de châtaigniers où se retrouvaient secrètement les amours débutants pour  des parties de chasse aux papillons. C’était un village cerné de vergers qui faisaient le bonheur des jeunes voleurs de pommes, des amateurs de cerises et de pêches. Et derrière ces vergers, il y avait des champs à perte de vues et des fermes perdues dans les blés blonds des débuts d’été, dont on voyait ça et là les toits émerger des vagues que le vent faisait sur les nourritures terrestres. On y allait par des petites routes mal goudronnées que sillonnaient de vieux tracteurs, des Mobylettes pétaradantes et des 2CV  camionnettes aux couleurs délavées. On croisait des gamins qui coinçaient un carton dans les rayons de leurs bicyclettes pour imiter le bruit de la moto du docteur.  Plus loin, il y avait  une rivière aux rives touffues qui serpentait dans les vallons et le long de cette rivière, à un endroit bien connu des pêcheurs, un vieux pont en pierre tout aussi vieux que le lavoir, perdu dans ses fougères  et ses mousses vertes et que l’ancien presbytère, recouvert de lierres fauves.

Tout cela ressemble à l’enfance. À des images perdues dans la petite cour de récréation de l’école communale. Aux pétards lancés dans les vespasiennes. Aux jeux de guerre dans les ruelles en pierres. Aux billes qui renversent sur le sable les petits coureurs cyclistes en plastique. Cela me redonne le goût des bonbons chapardés à l’épicerie, j’entends le  bruit de la sonnette du vélo du facteur, les engueulades comiques des vieux autour d’une partie de pétanque apéritive,  je repense aux flonflons du bal du 14 juillet, aux jeux interdits dans le foin de la grange du père Mathieu avec la jolie Céline…

Il était une fois la vie d’un village, avec son ivrogne, son fainéant, son gros fermier, sa belle, son idiot, son salopard, sa mère Marie et son père Antoine, son édile et sa fanfare…

Il était une fois un endroit où il faisait bon vivre.

YLR