Tu n’iras pas à l’école, mon fils. EXTRAITS.

On nous cache tout, on nous dit rien
On nous informe vraiment sur rien
Et plus on apprend, plus on ne sait rien.

Achille n’avait-il qu’un seul talon ?

Clovis a-t-il inventé la piscine municipale ?

Les rois fainéants avaient-ils fait l’école normale administrative ?

Jeanne d’Arc se droguait-elle avec des champignons hallucinogènes entre deux pâtures ?

Louis XIV a-t-il popularisé la crème solaire ?

Napoléon était-il un nain d’altitude ?

Jean Moulin a-t-il été roulé dans la farine ?

Tous les Noirs aimaient-ils le Banania ?

Le général de Gaulle était-il gavé de potion magique ?

Mitterrand s’était-il fait limer les dents ?

Autant de questions qui resteront sans réponses. Plus sérieusement, comment croire à tout ce qu’on lit dans nos
livres d’histoire ? D’autant qu’avec le temps, les versions varient. Les idées reviennent changées de leurs voyages. Les
opinions se retournent pour profiter d’un nouveau vent dans le dos et se tendent comme le foc sur un bateau. La
République fait imprimer et vendre des manuels scolaires dont le contenu est décidé par ses politiciens. Par ses influences religieuses. Par ses mouvements sociétaux. Par les modes et les scandales d’une époque. Prenons, au hasard, dans les questions citées plus haut, Dame Jeanne. Et ses voix. Dans mon école primaire catholique, c’était Sainte Jeanne d’Arc. L’élue que Dieu avait guidée, façon GPS, vers la reconquête du royaume de France. De la France, la fille aînée de l’église, d’après Rome et ses cloches. Dans mon collège de « voyous», on parlait davantage de la situation de ce bon vieux royaume de France, des batailles et des incidences de ces batailles sur ses frontières,
que de la dame aux vapeurs religieuses. La République s’était dispensée depuis quelques décennies de la croix accrochée au-dessus du tableau. Et pourtant, la notion de « combattante du Christ», d’émissaire du très haut et du très loin, du coup, persistait. D’ailleurs, Jeanne d’Arc est devenue avec le temps un produit de marketing politique, car au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, comme dirait Jean-Marie, Marine et Marion réunis.
Bambi, c’est aussi une belle histoire. Moins glauque, en tout cas, que celle de Jeanne d’Arc. Et surtout plus réaliste.
Quand j’étais en sixième, sur la période trouble de la Seconde Guerre mondiale, Pétain n’était pas le salaud absolu
qu’il est devenu aujourd’hui. D’ailleurs, les tribunaux français étaient vides de criminels de guerre dans ces années-là. On ne vantait pas non plus le fait que le grand Charles lui même fût l’aide de camp du moustachu collaborateur à une époque antérieure. Il ne faut pas compliquer la situation. Ne pas semer le trouble dans les esprits. Ne pas sortir du chemin balisé. Donc, Pétain restait maréchal de France dans une partie du programme, valeureux botteur de culs teutons de la première grande saignée universelle. Joffre et Foch étaient des héros, même s’ils avaient envoyé au saloir des centaines de milliers de pauvres types. Le poilu aimait à cueillir des marguerites au son du canon et sous les balles de mitrailleuses, c’est connu. Et tout ça pour rien. Pour une Europe de pacotille aux frontières et aux idées hermétiques. Mais ceci non plus, ce n’est pas utile de le préciser. Pas plus que je n’ai lu quelque part à cette époque que le père la Victoire, tigre parmi les chats noirs, Clemenceau, donc, n’avait favorisé, par son acharnement et son esprit de revanche, la montée en puissance de l’extrême droite dans cette nation dévastée qu’était devenue l’Allemagne au sortir de la Grande Guerre. Et qui, avant d’être l’Allemagne, était un empire comme l’étaient la France ou la Grande-Bretagne. Avec des méthodes d’oppression sur les peuples similaires et un fonctionnement commun. Que son traité de Versailles, au héros national, envoyait paître la jeune SDN de Wilson dans le
champ d’à côté. Jamais je n’ai entendu en classe qu’il valait mieux préparer la guerre que la paix. Que c’était au final
moins dangereux. Comme plus loin dans les pages du même livre, je pouvais admirer cette France de l’Occupation qui comptait bien plus de résistants que de collaborateurs. Comme les soldats américains, encore quelques pages plus loin, étaient les lutins du père Noël qui distribuaient du chocolat et du chewing-gum aux petits enfants de France, après avoir glorieusement débarqué sur les plages normandes, sans aucune contrepartie à payer pour la nation. Comme « le problème juif » n’était pas un problème français. Qu’il n’y avait pas de camps de concentration en France.
Pour ce qui est de la période des colonies, l’Algérie n’était pas une guerre. Mais des « événements ». Événements qui
ont pourtant traumatisé mon père et la totalité des petits mecs de vingt piges qui se sont retrouvés à jouer à cachecache dans les montagnes avec ces salopards de terroristes qui ne faisaient rien qu’embêter les gentils colons blancs qui exploitaient leur pays. Pour la défaite en Indochine de l’armée française, deux lignes suffisaient. « Bien bien fou » comme concept éducatif. Comme pour « l’Africain Yannick Noah », nommé ainsi dans les journaux quand il perdait un match, et « le Français Yannick Noah » quand il le gagnait, les manuels d’histoire de nos chères têtes blondes à casquettes s’adaptent. À tout. Si demain, un nouveau Pétain prend le pouvoir, on réimprimera. La République est morte, vive la République.

Aujourd’hui, le mot « nègre », même s’ils sont dix, même s’ils sont devenus classiques de la littérature mondiale, le mot est interdit. D’ailleurs, vous pourrez brûler ce livre après avoir lu le mot « nègre ». Et vous rincer les yeux au sérum physiologique. Puis vous moucher. Puis jeter le mouchoir.
Pourtant, mon fils, ce mot traduit bien une époque.
Une époque vécue par l’humanité tout entière.
Humanité qui a toujours pratiqué l’esclavage sous toutes ses formes. Les Africains comme les autres.
Comme ce mot traduit les mentalités d’une époque. Et donc ses idées.
Dans la trousse d’un écolier, il y a un effaceur. Et je crois que les politiciens ont gardé leur trousse d’écolier. Effacer
la vérité historique plutôt que de l’assumer et en tirer des leçons pour l’avenir. Voilà ce que propose l’école de la République. J’aimerais y trouver des faits. De la sincérité. Une analyse neutre. Une base de réflexion sur la condition humaine. Sur les sociétés humaines. Et malheureusement, je n’y trouve que propagandes, mensonges, compromis et
demi-vérités.
Parlons aussi de cette expression : plus jamais ça. Encore une expression, pourtant tant de fois utilisée, tant de fois repiquée, de la Der des Ders aux élections présidentielles françaises de 2002, qui n’a de valeur que sur l’instant. Encore un non-sens républicain. Plus jamais jusqu’à la prochaine fois où l’on réécrira l’histoire. Pourquoi ne pas
commencer par dire à chaque écolier que derrière chaque héros national, chaque conquérant, chaque chef de guerre,
chaque grand dirigeant et que derrière la gloire se cache la mort, le sang et les larmes, et qu’aucune nation n’est plus
propre ni meilleure qu’une autre ?

 

Extrait de « Tu n’iras pas à l’école mon fils. » Par Yoann Laurent-Rouault.