Dada 1/2

 

« Le mouvement dada est un mouvement intellectuel, littéraire et artistique du début du XXe siècle qui se caractérise par une remise en cause simultanée de toutes les conventions et contraintes idéologiques, esthétiques, philosophique et politique. »

Voici un exemple de définitions communément admises. Mais, quand on lit entre les lignes du manifeste, publié alors sous forme de tract et  diffusé en février 1915 dans les rues de la capitale d’une Allemagne devenant exsangue pour fait de guerre,  alors que la technologie fait feu des vies humaines et que la science et l’effort entier d’une société  ne servent qu’à nourrir l’incendie, on y décèle un refus de ce qui « est ». Simplement de ce qui « est ».  Un refus pur et simple de l’invitation morbide que chacun recevait  alors pour participer au grand bal meurtrier des nations. On y lit et on y lira « l’expression » d’un « non ». Un « non » collectif, humaniste et raisonnable si la folie douce le nourrit.

Dans ce tract Hugo Ball et Richard Huelsenbeck s’y déclarent « négativistes » et  affirment : « Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire dans le progrès. Nous ne nous occupons, avec amusement, que de l’aujourd’hui. Nous voulons être des mystiques du détail, des taraudeurs et des clairvoyants, des anti-conceptionnistes et des râleurs littéraires. Nous voulons supprimer le désir pour toute forme de beauté, de culture, de poésie, pour tout raffinement intellectuel, toute forme de goût, socialisme, altruisme et synonymisme ».

 

Comprenons bien que la période et le contexte « illogique » et « irrationnel » et « industriel » de la Première Guerre mondiale contribuent à fournir des armes aux artistes. Les carnages, le canon, la honte des nations, la veuve, l’orphelin, la jeunesse massacrée, tous ces faits plus atroces les uns que les autres sont incompréhensibles aux artistes, aux peintres, aux écrivains et aux comédiens.  Comment répondre à la boucherie généralisée admise et subie, à la destruction systématique de l’individualisme et à l’absence de «signification» de la vie comme de la mort que génère l’époque ?

 

Dada s’y emploie.

 

Dada connaît une diffusion rapide  et internationale de ses préceptes.  Au départ apolitiques. Il met en avant un esprit caustique, parfois « cru », il ose par exemple comparer les «partouzes »  des bordels des capitales européennes avec les restes entremêlés des victimes civiles et militaires des champs de bataille, il joue avec les convenances patriotique et bourgeoise, il rejette les plus évidentes logiques et il marque d’ extravagances sa dérision pour les traditions non seulement humaines, mais artistiques.  Tout comme Munch, plus tôt, avec son cri, Dada, c’est avant tout  l’expression de la peur et le rejet mêlés d’une époque. Un exemple ? Cette « formule » Dada définissant  et narrant le suicide : «  Suicide : a,b,c,d,e,f,g,h,i,j,k,l,m,n,o,p,q,r,s,t,u,v,w,x,y et Z ». Mais Dada, c’est avant tout la dérision et l’humour. Les artistes de dada se voulaient irrespectueux, extravagants, et affichaient un mépris total envers les us et coutumes du passé. La liberté d’expression couplée à la recherche plastique, artisanale, cinématographique, littéraire ou musicale était le terrain de jeu et d’expérimentation.

 

Seulement, tout mouvement engendrant sympathie et universalité est tôt ou tard récupéré après l’effondrement de certains empires, monarchies et autres régimes politiques de l’époque prodigieusement assassine de la guerre industrialisée.  L’idéologie socialiste et Marxixte, ou même anarchiste, s’empare des arts avec un certain romantisme. On croit que la gouvernance du peuple par le peuple est la solution, on se berce de gauchisme utopiste, on tire à boulets rouges sur le conservatisme et la droite en général et Dada devient presque malgré lui le porte-drapeau d’une pensée de gauche, qui certes, si elle reste originale dans le contexte, n’est pas sans afficher un certain militantisme.

YLR