De Gaulle, le film.
J’attendais ce film avec une certaine impatiente. Je suis passionné par le personnage depuis mon adolescence. Sur le réalisateur, Gabriel de Bomin, je n’avais pas de recul. Peu vu de ses œuvres. Sur le papier, un casting superbe, le formidable Olivier Gourmet (En mai fait ce qu’il te plaît, Edmond…), la superbe et magique Isabelle Carré, et Lambert Wilson, notre gentleman-acteur national. J’aime beaucoup Lambert Wilson, c’est un acteur surprenant. Mais l’imaginer habiter le double mètre de De Gaulle, m’amenait déjà, à l’annonce du film, sur ma réserve. Je m’explique : de Gaulle est une sorte de Cyrano. De Napoléon. De César. L’acteur qui relève le pari d’incarner le personnage doit à mon sens déjà porter en lui cette force brute et romanesque qui caractérise un personnage historique de son envergure. Monsieur N, avec Toretton (capitaine Conan), Cyrano avec Depardieu, Diplomatie, avec Niels Arestrup et André Dussollier respectivement dans les rôles du Général Von Choltitz et du consul suédois Nordling, tous répondent à ce critère. Ils incarnent déjà naturellement la force du rôle par leurs propres personnages. Ils ont même la voix et le ton de leurs rôles, sans avoir besoin de tomber dans l’imitation.
La délicatesse, la réserve, les postures élégantes, presque mondaines de Wilson, son jeu tout en retenue, tout ceci ne me disaient rien pour évoquer le général. C’est un peu comme si on demandait, dans un autre registre, à Josiane Balasko d’incarner Maryline Monroe… Mais, pourquoi pas après tout. Qui attendait Di Caprio dans le rôle de J. Edgard Hoover ? Il faut laisser une chance à l’artiste.
La dictature sanitaire et l’état français m’ont éloigné des salles de cinéma depuis 2020, au point que j’aimerai à mon tour faire un film sur le président et ses sbires. La fin serait dramatique, croyez-moi. Je vois bien un péplum d’ailleurs…avec des lions dans les rôles principaux. Des gros lions. Avec des grandes dents. De très grandes dents. Et des gladiateurs avec des tridents et des épées. De grosses épées. Et des masses à clous.
Aussi, je vois « mes films » avec décalage et sur mon écran privé à cause de ces pantins. Et, j’avais donc jusqu’à ce jeudi, évité soigneusement jusqu’à la bande-annonce du film qui circulait depuis un moment déjà sur le web et sur les chaînes. J’attendais gentiment que mon abonnement canal réponde à ma demande et passe le film. Je refuse de payer pour voir un film à sa sortie, ailleurs que dans une salle de cinéma. C’est un principe. Valable pour les concerts et le théâtre également.
Comme je refuse de voir un film s’il est odieusement interrompu par des publicités. Aussi, j’ai demandé à ma famille, en ce jeudi que je ne devinais pas si noir, de faire silence et preuve de piété. J’avais débouché une bonne bouteille de Bourgogne, préparé des mignardises, invité amoureusement mon épouse à mes côtés, après avoir préalablement calé les coussins du chesterfield, éteint mon téléphone et fermé les volets. Même notre brave toutou avait gagné l’étage pour grignoter son os.
Le film commence donc et là : le choc. Yvonne et Charles au plumard ! Filmé façon Bilitis en plus. Et l’envie soudaine d’envoyer un coup de pompe dans la télévision. Je serre les dents, je passe, le film avance, des scènes familiales, la guerre, la bataille du colonel Motors à Metz, les échanges avec Reynaud, ça s’améliore peu à peu me disais-je, aidé par mon Bourgogne, beaucoup moins critique que moi. Pétain (on a le même actuellement) et sa haine de la république, le jeu des chaises musicales du gouvernement, Churchill, l’exode des Français mitraillés sur les routes, etc. Le film avance, ma mémoire et mes connaissances bipent toutes les dix secondes, tant des erreurs, des dialogues, des mots, me heurtent. Wilson parle, bouge et marche comme Wilson, Yvonne se retrouve dans un cauchemar digne Du vieux fusil avec Noiret et l’éternelle Romy, et on se demande pourquoi cette scène conne, peu après, des Allemands cours nus sur la plage, elle cache les yeux de sa fille handicapée, et part sur les routes, car même en Bretagne, les Allemands se baignent à poil. De Gaulle lui, fait des aller et retour en Angleterre et déjeune avec le bouledogue, fait son appel à la BBC, et tout ce petit monde se retrouve à Londres au final, après moult péripéties. Bref : on n’apprend rien, on tombe dans de la mièvrerie sentimentale, et je dirais, presque dans un voyeurisme malsain. Heureusement, le bourgogne était bon.
Pour qui connaît cette période et sa complexité, pour qui a lu les mémoires de De Gaulle et des acteurs de cette époque, ou simplement Le fil de l’épée et sa correspondance, ce que n’ont pas dû faire le réalisateur et le scénariste, le combat politique du fraîchement promu General de brigade et sous secrétaire d’État Charles de Gaulle en 1940, est traité médiocrement dans ce film. Des erreurs, des approximations, aucune analyse critique et surtout, surtout, ces insupportables retours à sa vie privée. Dont on se fout. Le drame de sa fille Anne handicapée (jusqu’à la visite chez le médecin qui apprend au naïf couple de Gaulle ce qu’est la trisomie 21)), l’exode de la famille de Gaulle, le mari et père aimant, le courage d’Yvonne, sa dévotion, tout ceci pour « humaniser » un homme qui comme tous les très grands personnages de l’histoire n’en a pas besoin. De Gaulle, c’est de Gaulle. On aime ou pas, mais il n’y en a qu’un. Il n’est pas utile de le sacraliser ni utile de médire sur lui. L’homme est son bilan. Ses réalisations, son engagement, son abnégation pour notre pays, ses erreurs, sa vision, son humanisme, Sa Majesté, tout cela fait que de Gaulle est de Gaulle. Et qu’il manque. Que ce genre d’homme manque cruellement à cette Europe et à notre pays qui aujourd’hui partent en vrille. J’aurai souhaité, que ce film établisse un parallèle politique et social et parle de convictions, de combat pour la démocratie, qu’il nous fasse réfléchir sur notre époque, qu’il mette en relief l’échelle des drames, des priorités et redonne un sens au mot « crise ». Il y avait beaucoup de possibilités autres que de mettre Charles et Yvonne au plumard dans la première scène. Mais, bon, peut-être que je suis un vieux con et que je devrai me contenter de regarder Les Marseillais versus le reste du monde, pour être raccord avec l’époque.
Yoann Laurent-Rouault.