F r a n c k A N T U N E S. Les académichiens.

F r a n c k  A N T U N E S, auteur prolifique de la collection Magnitudes, a rejoint la maison il y a quelques mois et nous a confié une trilogie prodigieuse, dont le premier opus paraitra ce mois. Puis se déclinera sur l’année 2021.

Les académichiens.

 

Jean-Loup Dabadie est mort. C’était un homme de lettres presque parfait qui a exercé son art dans tous les domaines pouvant s’écrire. Tour à tour et tout à la fois : journaliste volubile, écrivain soyeux, scénariste inspiré, dialoguiste truculent, parolier prolifique de chanteurs et d’humoristes, traducteur méticuleux… professionnellement je ne lui trouve qu’un défaut.
Il était académicien.
Pas le plus impliqué, juste celui des sourires et des ors de la Ré-publique, au sabre étincelant d’inutilité, au cuir presque intact des bancs.
Il ne mordait pas comme les autres, ne jappait pas sur les fautes supputées, ne gardait pas le troupeau des maldisants, comme les académichiens de garde. Ceux qui croient réguler la langue.
La langue française n’a jamais eu besoin de cette académie cen-tralisatrice et castratrice. Elle s’est développée dans les régions, sur des argots, entre générations, s’est affinée dans des activités, en s’adaptant à la technicité de métiers, avec l’enrichissement d’autres langues, d’autres cultures, et en mélangeant le tout dans un brassage des rencontres, par des échanges où il fallait se comprendre avec les différences. La langue français était en mouvement, vigoureuse, inventive, débordante !

Les académichiens ne servent qu’à valider, toutes hontes bues dans des coupes à champagne, des mots pratiqués par tous de-puis des lurettes (zlataner, malaisant…) et qu’elle moquait en pouffant jusqu’alors.
Lorsque dans un mouvement rédempteur elle se lance à en ima-giner pour on ne sait quelle valeur désuète, cela devient des courriels, peuplés d’émoticônes, avec des demandes des rempla-cer nos followers d’instagram par des « acolytes »… C’est laid, peu pratique et inutilisé.
Le pire se produit lors de terribles humeurs vengeresses où ces aboyeurs académichiens de chasse osent supprimer des mots ! Abuseur ? Dehors ! Jugé familier… n’est-ce pas la gloire d’un mot de faire partie de la famille ?

Le français prôné est celui des journaux télévisés, sans accent, sans argot, sans invention, fourre-tout et peu didactique, faus-sement huppé, sous cellophane, et le plus grave : appauvri. Sans nuance, sans couleur, sans odeur, sans rire, gorgé d’incompréhension et d’amalgame. Une langue qui ne chante plus mais scande et se renie.
Mais elle vit sans eux, se développe et jaillit, les banlieues sont l’heureux et le seul terreau pour les Dabadie de demain.

Alors, qui sont ces vieux toutous ?
En tout cas, ils ne sont pas Baudelaire, Céline, Dard, Césaire, Gary, Molière, Balzac, Zola, Proust, Flaubert, Stendhal… Mon panthéon.

Heureusement, les académichiens n’étant pas à une élucubration près ne sont pas si immortels.
Dabadie l’est beaucoup plus par son inventivité aux traces popu-laires.