La déclarations des droits de l’homme et du citoyen 3/6

L’article 6

  «La loi étant l’expression de la volonté générale, tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par représentation à sa formation; elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.»

Rousseau avait sciemment évoqué cette thématique dans son œuvre, Talleyrand l’imposera par lecture à la tribune du comité de constitution le 21 août 1789. La lutte perdante, immuable et ancestrale, du pot de fer contre le pot de terre, selon l’expression consacrée, se trouve exprimée ici en sa solution définitive : « La loi doit être la même pour tous. » Les rédacteurs de l’article y incluent également une première notion de responsabilisation du citoyen «  la loi étant l’expression de la volonté générale… ». Pas plus que nul n’est censé ignorer la loi, nul n’est censé ignorer la portée de son vote.

Les lois sont donc dorénavant votées pour le peuple, sans faire de distinction entre les classes sociales et surtout elles sont votées par le peuple. L’inégalité de la loi exercée entre les castes sous l’ancien régime se trouve directement dénoncée par cet article. Dans cet article, comme dans tous les articles de la déclaration, on se défend bec et ongles contre les abus de la monarchie des temps passés. Nous pourrions plus longuement nous étendre sur le dispositif législatif et judiciaire mis en place en ce mois d’août 1789, mais l’importance pour moi, dans cet article, est tout autre. Une phrase m’interpelle. Elle est extrêmement progressiste et assez inattendue : « Sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents ». La notion de talent. Il est sous-entendu ici l’idée de jauger intelligence et capacité humaine d’un candidat à l’exercice d’une responsabilité. Des considérations que l’éducation nationale, à travers le temps, ne semble pas avoir prises en compte. (Voir : Tu n’iras pas à l’école mon fils, de Y. Laurent-Rouault, collection Uppercut, JDH éditions.) Le talent n’étant inscrit en tant que « notion », qu’au programme des cours de philosophie, il sera le plus souvent d’ailleurs traité comme une vague entité abstraite, et seulement si le sacro-saint programme éducatif en laisse le temps au valeureux professeur. Ainsi, il serait  admis à l’aube de la Révolution française, qu’un fils de boulanger engendre lui-même un futur cadre de la fonction publique, un futur politicien, ou pourquoi pas, rêvons un peu, un futur médecin ? Mais il faudra du temps pour qu’un fils de boulanger  n’engendre pas un boulanger. Un paysan ou un ouvrier de même. Et ceci même dans l’artisanat d’art le plus remarquable.

Beaumarchais, le prophète de la Révolution française, était fils d’horloger, et malgré les succès qui ont fait sa renommée, il était considéré comme tel à la cour de Louis XV. Fils d’artisan. Qui n’était pas à sa place à Versailles. Malgré sa verve, son statut d’auteur reconnu, ses relations, sa fortune et son statut d’espion de Louis XV, Caron restait Caron, même lorsque Beaumarchais brillait. Et nous pouvons constater que ce « bel et fol » article 6, emprunt de la ferveur et du romantisme lié à la facture d’une société nouvelle, est quelque peu basé sur une évolution que je qualifierai de darwiniste. Et pour cause : l’évolution sera lente. Le col bleu restera col bleu encore longtemps, et pour les enfants de cols bleus qui aspireront à devenir un jour col blanc, la lutte sera dure et le chemin sera long et sinueux. « Un baccalauréat sans carnets d’adresses, c’est le tenon sans la mortaise », raillait Michel Audiard. Les plus beaux exemples du genre en ce qui concerne la progression et l’égalité des chances furent l’école normale d’administration, et donc liée dans la conception, le phénomène des énarques en tous genres et en tous lieux, comme les revendications de la jeunesse « révolutionnaire » de mai 1968. La mentalité des populations n’est pas toujours en adéquation avec le futur qu’exprime. la Loi, et l’article lui-même n’est pas toujours écrit au même temps que l’évolution.