Le métronome de nos âmes, vu par DIdier Betmalle, l’un de mes betalecteurs

Didier Betmalle est  cinéaste, photographe , auteur indé de talent et betalecteur. Fin, plein d’humour, je ne le connais que par ses livres, nos échanges via mail et ses chroniques sur son blog. J’aime sa vision décalée et sa manière d’égratigner mine de rien férocement l’humain, voire de le décaper de toutes ses couches de mensonge. Je l’imagine taiseux, un tantinet misanthrope, mais fidèle en amitié, et aussi épicurien pour ce qui est de la bonne chèse et du bon vin et des bons livres. Car si Didier lit beaucoup et lentement, il lit aussi avec une attention rare.

J’espère que l’extrait de son retour (il est assez long car Didier est un homme prolixe dans ses réflexions)  après avoir lu en tant que betalecteur Le métronome de nos âmes, vous donnera envie, à votre tour, de vous y plonger.

…. « Je me suis fait ravir par ce livre. Tout de suite.
J’ai lâché prise sous le coup de l’expérience terrible du tout début. Cela commence par une totale immersion au Mali, dans les bruits et les couleurs du marché de Ségou, puis dans l’atmosphère paisible d’un village. Et là, soudain, entre la sérénité que fait régner autour d’elle Djouma la magnifique et la violence d’une tentative de prise d’otage, le contraste vous déchire. Cela vous arrache à votre quiétude.
Sous le choc, je suis sorti de ma peau pour entrer dans celle, écorchée vive, d’Amah, et y vivre, dès ce moment, un surprenant, un fastueux, un bouleversant voyage intérieur.
Amah… une belle jeune femme douée de nombreux talents, forte et fragile, experte en art martial indien, bikeuse amoureuse de sa Triumph Bonneville, universitaire surdouée spécialiste en langues anciennes, conservatrice de bibliothèque, fille d’une mère parsi et d’un père irlandais, endeuillée par la disparition de son frère aîné, et animée par l’impérieux besoin de se rassembler, de remettre de l’ordre dans sa mémoire…
« — (…) Je ne suis pas entière. Des morceaux de moi sont en Inde, d’autres sont restés au Mali, d’autres accompagnent je ne sais où mon frère, et d’autres enfin, sont ici. Vous ne parlez pas à une identité pleine et entière, mais à un puzzle. »
Je me suis rallié à sa quête de reconstruction identitaire et me suis lancé dans un parcours à vous tourner la tête, tant les mondes traversés sont fantasques et joyeux, mais aussi saturés de savoirs et de savoir-être. C’est un tourbillon de rencontres avec des personnalités exceptionnelles, chacune porteuse d’une expérience humaine originale, profonde, sensible, et pratiquant l’art de vivre selon le cœur. Plus précieux et émouvants les uns que les autres, tous ces moments suspendus hors du temps on les dirait sortis d’un conte merveilleux, mis en scène par un magicien appelé Aedan. Cet Aedan, ce poète et musicien, ce philosophe en acte, épris de liberté totale et de cohérence, de gratuité absolue, qui sème la gaieté dionysiaque partout où il passe, c’est le frère d’Amah. Sa présence fantomatique guide et précède les pas de sa sœur, jalonnant sa route de lettres-repères adressées à son Bonheur de sœurette. Il semble qu’avant de disparaître dans un accident de voiture il ait organisé l’itinéraire et les connexions de ce voyage vers l’Orient, avec le souci d’en préparer les moindres détails, d’y implanter les déclencheurs et les catalyseurs adéquats, afin qu’Amah, arrivée à son terme, se révèle plus sûrement à elle-même et retrouve enfin son intégrité.
Roman d’aventure philosophique et musical, mais aussi romance bolywoodienne de cap et d’épée, foisonnant d’individualités hautes en couleur, Le métronome de nos âmes se prête à tous les niveaux de lecture. La parabole centrale est celle du voyage vers l’Orient de soi, point cardinal où sont possibles les retrouvailles avec les trésors de l’enfance enfouis dans la mémoire “intelligente”.  Cette mémoire qui « nous protège en dépit de nous-mêmes de choses qui pourtant ont une importance capitale, puisqu’elles nous construisent »

Le moment venu, quand nous sommes prêts, ces choses qui forment le noyau de notre être nous sont rendues. Se produit alors une sorte de renaissance, où ce qui nous constitue “à cœur” cristallise sous nos yeux. Alors, une lucidité totale nous illumine.
Sur ce thème majeur se greffe une multitude de thèmes qui sont les affluents habituels de l’écriture de Mélanie Talcott : l’art de faire et de partager la musique, la cuisine, la pratique des arts martiaux, la pratique de l’amitié et de la solidarité telle une discipline fondamentale liée au don de soi, au lâcher prise ; l’Inde comme creuset paradoxal où les enfants démunis et leurs parents sont riches de dignité et de résilience, et bien d’autres sujets qui courent dans les veines généreuses de ce livre entièrement consacré à l’amour. Jusqu’où peut-on s’y abandonner ? «