Les « Journées anthropologiques » au J.O de1904

Les « Journées anthropologiques »

Les « Special Olympics », se tiennent les 12 et 13 août 1904. C’est alors une véritable foire humaine qui s’organise, sous la large couverture du « progrès » et des jeux. L’exposition universelle est la démonstration même de la quintessence de la suprématie blanche sur le monde connu. Industrie, nouvelles technologies, sciences et arts rivalisent de modernité et de moyens. Alors, les journées anthropologiques sont un peu une visite de la cabane des monstres. Du cabinet des curiosités des barons de l’organisation… brefs, ils mettent en scène tout ce qu’il faut pour que le spectateur de base soit non seulement content d’être né blanc, mais aussi d’être un bon Américain évolué et de source européenne. Issu de la maison mère, en quelque sorte. Bien plus qu’un « amusement » public, cette manifestation a donc une véritable raison d’être, tant sociologique que politique. Le but était, en faisant appel à des concurrents aux épreuves comme les Sioux, les Pawnees, les Syriens, les Patagoniens, les Zoulous ou encore les pygmées, de démontrer scientifiquement les désavantages athlétiques des races considérées comme inférieures. Les malheureux compétiteurs, originaires de toutes les régions de tous les continents colonisés, s’affrontèrent pendant deux jours pour pratiquer des disciplines sportives dont ils ignoraient tout, jusqu’aux règles ! Sous les moqueries d’un public probablement hilare. Mesurés, pesés, testés, tâtés, bref traités comme les animaux d’un salon de l’agriculture.

L’American Anthropological Association faisait le vœu, en organisant cet « évènement », et en rassemblant ainsi diverses ethnies dans le cadre des jeux, d’offrir aux scientifiques et autres universitaires américains et européens, une occasion unique d’étudier d’un œil expert ces spécimens issus de « peuplades exotiques ». Ce qui collait d’ailleurs très bien au thème même de l’exposition universelle, puisque le principe de ces expositions était d’amener le monde aux pieds et à la vue du spectateur. N’oublions pas que l’hygiénisme lié à la pratique sportive est particulièrement bien vendu à cette époque. De même, qu’il répondait aux théories disciplinaires et étatiques concernant l’éducation des populations. Mêlés à l’eugénisme latent des états occidentaux, ces trois ingrédients feront les choux gras du fascisme et des ligues racistes de tout drapeau. Les intentions véritables des organisateurs américains sont donc de mettre en évidence l’infériorité athlétique et sportive de ceux qu’ils appellent « les sauvages ». On compare donc « scientifiquement » les résultats d’athlètes caucasiens, parfaitement entraînés et initiés aux disciplines sportives pratiquées, équipés pour la démonstration, aux résultats des « sauvages » recrutés pour l’occasion et totalement ignorants de ces mêmes disciplines. Évidemment, la photographie est on ne peut plus probante. Et bien évidemment, le « sauvage » perd la partie haut la main. Si ces journées sont bien reçues par les spectateurs américains, et tout aussi bien relayés par les médias mondiaux, Pierre de Coubertin leur porte un regard très critique, les considérant comme une « mascarade outrageante ». Mais l’outrage est pour lui que des « peuplades inférieures » puissent concourir dans « ses jeux ». Le Spalding’s Official Athletic Almanac adressera ce message éloquent à ceux qui ne seraient pas convaincus par la démonstration : « Les maîtres de conférences et les auteurs devront à l’avenir omettre toute référence à une capacité athlétique naturelle chez le sauvage, à moins de pouvoir attester leurs exploits présumés. »

Pendant un siècle, du milieu du XIXe à la Seconde Guerre mondiale, 35 000 êtres humains vont être ainsi exposés dans ces « zoos humains éphémères, devant près de 1,5 milliard de visiteurs.

Yoann Laurent-Rouault