La réalisation de nombreux dossiers documentaires de la collection des Atemporels aux éditions JDH m’aura appris une chose. Ou plutôt fait vérifier un vieil adage populaire : « chaque pays, chaque mode. Chaque époque, chaque mode. ». D’André Gide et ses mœurs dissolues, inqualifiables dans leurs termes aujourd’hui pour notre société, en passant par l’antisémitisme militant de certains de nos grands auteurs, comme Daudet par exemple, à la vie résolument folle d’Hemingway ou de Paul Eluard, aux maladies du siècle de Baudelaire ou de Victor Hugo, en passant par la folie spirite d’un Alan Kardec, il se vérifie. Notre contemporanéité nous oblige à considérer certaines opinions ou certains agissements de nos pères comme irrecevables, et par conséquent nous portent à mettre au pilori certains auteurs ou personnages historiques d’une époque donnée. Cependant, aux jours de leurs existences, leurs actes et leurs écrits n’étaient pas nécessairement répréhensibles et cela faisait partie « d’un tout » sociétal admis. Déjà discuté dans certains cas, mais globalement très moyennement condamnable pour les contemporains des polémiques suscitées. C’est en cela une autre leçon de l’histoire. En tant qu’auteur, j’ai parfois l’impression de participer à une sorte de révisionnisme historique, qui consiste non à remettre en question les faits, les dates et les intervenants d’un acte de la pièce, mais à se poser en juge et parti et à mettre l’accent sur ce qui est « mal », ou vue comme dommageable, par rapport aux mœurs de notre époque. Bref, à changer le décor. Notre époque, je le rappelle, n’est qu’un petit wagon du grand train de l’histoire de l’humanité. Elle n’est référence pour nous que parce qu’elle est et que nous y sommes. Ainsi, puisque nous l’évoquons, je regrette que les mots durs et péjoratifs du colonialisme européen soient effacés peu à peu de nos dictionnaires, de nos lieux de mémoires et par conséquent, de notre vocabulaire.
Mieux ne vaut-il pas savoir ce que porte en lui le mot « nègre » et en connaître toute la portée, l’horreur et l’absurdité, plutôt que de l’effacer ?
Quelle leçon tirer de quelque chose qui n’existe plus ?
Comment identifier clairement des propos fascistes, des propos racistes, comment juger et comprendre notre histoire, si la vie de tous ces gens, et peu importe qu’ils fussent esclaves ou marchands d’esclaves, est effacée progressivement par une élite de lettres tout aussi dangereuse que ce qu’elle veut annihiler, car elle flirte sans s’en rendre compte avec un certain négationnisme boboïsant et acculturé ?
Yoann Laurent-Rouault, extrait 3/3 du documentaire sur Les mémoires de Pierre de Coubertin dans la collection Atemporel.